LITTÉRATURE et le livre de Frédéric Beigbeder
Aurélien Bellanger sort un livre de 68 pages plombé par la souffrance des migrants. « Less is less »…
Je ne voudrais pas tirer sur la couverture, mais certains livres semblent avoir été rédigés à mon attention. En tant que prétendant au titre de roi du dance floor de 1984 à 1994, j’ai jeté un oeil particulièrement concerné à Eurodance d’Aurélien Bellanger. Pour preuve de mon professionnalisme, je l’ai lu sous une boule à facettes, en écoutant The Rhythm of
the Night, de Corona. Il m’est même arrivé d’effectuer des moulinets avec les bras afin d’en ponctuer cha- que paragraphe. Né en 1980, Aurélien Bellanger était optimiste en 2000. Dix-huit ans après, il écrit : « Nous sommes les maîtres de nos apocalypses. » Il convient alors de monter le son de 2 Unlimited et se resservir une vodka caramel. Selon lui, « Dance Machine » fut le Woodstock des années 1990. La musique était « la plus triste
du monde » et le public abruti, mais « l’an 2000 nous fonçait dessus à toute vitesse, comme une tempête solaire sucrée et bienveillante ». Les ro
mans d’Aurélien Bellanger – La Théorie de l’information en 2012 et L’Aménagement du territoire, prix de Flore en 2014 – étaient parfois trop longs ; ce petit livret d’un spectacle théâtral a l’immense courtoisie d’être trop court. Il laisse sur sa faim, comme Freed From Desire, de Gala. Il faut alors en recommencer la lecture en polo mouillé Sergio Tacchini. Trêve de plaisanteries : Eurodance est le livret d’un spectacle beaucoup plus sérieux que son titre. L’oeuvre de M. Bellanger est obsédée par les infrastructures titanesques (câbles souterrains, TGV et accélérateurs de particules importent plus, selon lui, que nos destins de fourmi). Sa thèse est limpide : l’ouverture du tunnel sous la Manche en 1994 aurait dû être l’apothéose de la générosité européenne. Or que s’est-il produit ? Une jungle s’est fixée à Calais. Au lieu de symboliser une Europe fraternelle, l’entrée du tunnel est devenue un lieu de guerre. Le Brexit a commencé là, quand s’est édifié le plus grand bidonville du continent. Vous voyez que le propos s’éloigne fortement de la sueur de Pump Up the Jam, de Technotronic. C’est bizarre comme la politique coupe l’envie de danser. Il y eut des exceptions : la chute du mur de Berlin, par exemple. Et peut-être que si les deux Corées s’unissent, il y aura bientôt une grosse teuf sur le 38e parallèle au son de Gangnam
Style, de Psy. En attendant, Eurodance, d’Aurélien Bellanger, bien qu’ironique et métallique comme les derniers textes de Jean Baudrillard, est plombé par la souffrance des migrants. Le disc-jockey du Figaro Dance Club est au regret de vous annoncer que ce livre est nettement moins pétillant que Barbie Girl, d’Aqua.