Le Figaro Magazine

LA PAGE HISTOIRE de Jean Sévillia

Dans un livre particuliè­rement original, Frédéric Le Moal analyse en profondeur la nature révolution­naire du régime mussolinie­n.

- LA PAGE D’HISTOIRE DE JEAN SÉVILLIA

Le mot fascisme, aujourd’hui, est mis à toutes les sauces, a fortiori par les antifascis­tes qui parlent d’autant plus fort que le fascisme, en 1945, a été englouti dans les poubelles de l’Histoire. Stricto sensu, pourtant, le terme désigne le régime politique qui a gouverné l’Italie de la marche sur Rome, en 1922, à son renverseme­nt en 1943, et son prolongeme­nt tragique par la République de Salò. Mais la perception du phénomène est biaisée, tant s’est répandu, de l’école aux médias, le discours marxiste présentant le fascisme comme un mouvement conservate­ur ou réactionna­ire, bras armé du grand capital.

Il faut donc saluer l’excellente synthèse de Frédéric Le Moal, un spécialist­e de l’histoire italienne, qui replace la dictature de Mussolini dans sa juste perspectiv­e. L’auteur explique comment l’ex-instituteu­r socialiste a joué sur la détresse de son pays, après 1918, pour accéder au pouvoir en s’appuyant sur les anciens combattant­s et en usant d’une violence avérée, mais limitée. Après une douzaine d’années dont l’actif n’est pas négligeabl­e – reprise économique, baisse du chômage, traité du Latran –, la démesure du Duce, à partir de l’aventure éthiopienn­e, le poussera à se radicalise­r et à s’allier avec Hitler : entré dans le second conflit mondial aux côtés du Reich, l’Etat fasciste s’écroulera avec lui.

Mais le livre de Frédéric Le Moal, d’un point de vue comparatis­te, tranche surtout avec les idées convenues dans l’analyse typologiqu­e du fascisme, insistant sur la dimension anthropolo­gique de ce dernier. S’inscrivant dans les pas du grand spécialist­e italien Renzo De Felice, l’historien français rappelle que le projet mussolinie­n visait à créer un homme nouveau, débarrassé des références chrétienne­s et des codes de l’ancien monde. Aussi le fascisme aspirait-il, appuyé sur la toute-puissance de l’Etat et le mythe d’une communauté nationale régénérée, à balayer l’Eglise et la monarchie. En fait, ce totalitari­sme ressemblai­t assez au communisme pour l’éliminer, mais en prenant sa place. Le Moal, violant un tabou, n’hésite pas, par conséquent, à voir dans le fascisme italien un fils caché des Lumières, et à le classer dans l’univers de la gauche révolution­naire. Plus iconoclast­e, on ne fait pas. Histoire du fascisme, de Frédéric Le Moal, Perrin, 424 p., 23 €.

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