ISRAËL, LE MAL-AIMÉ
Alors qu’Israël célèbre ses 70 ans, il faut lire le dernier essai de Martine Gozlan, portrait inspiré et sans concession de l’Etat hébreu.
Pourquoi tant de haine ? Il y a eu la résolution de l’Unesco niant le lien historique des Juifs avec le mont du Temple. La campagne de boycott international du BDS. Les propos de Zeev Sternhell qualifiant Israël d’Etat « prénazi ».
Ou encore le tollé mondial provoqué par la décision de Donald Trump de déplacer l’ambassade des EtatsUnis à Jérusalem. Soixante-dix ans presque jour pour jour après sa création, l’Etat juif déchaîne toujours les passions. L’enlisement du conflit israélo-arabe, la question des colonies ou la politique controversée de la droite israélienne suffisent-ils à expliquer le mélange de fascination et de répulsion qu’inspire l’Etat juif ? « Non », répond Martine Gozlan, dans
Israël, 70 ans *. Grand reporter et rédactrice en chef à l’hebdomadaire
Marianne, elle y dresse un portrait complexe du pays du lait et du miel : à rebours des préjugés, mais lucide sur les failles de la politique et de la société israélienne. D’une plume inspirée, la journaliste parvient à nous communiquer l’énergie d’un pays en pleine ébullition qui rayonne aussi bien culturellement que technologiquement et scientifiquement. « Un juif ne peut pas se permettre le luxe
d’être pessimiste », aimait répéter Golda Meir. Quand la France sombre dans la dépression, Israël fait preuve d’un optimisme existentiel qui se traduit notamment par une démographie en plein boom. Le pays occupe la onzième place au hit-parade mondial du bonheur ! « Les Israéliens se précipitent sur les pistes improvisées, écrit Martine Gozlan. Sur la guerre, la terreur, le deuil, sur l’amour, sur le sable, sur la vie, ils dansent. » Pour la journaliste, les Israéliens puisent cette force et cette extraordinaire capacité de résilience dans les profondeurs de leur histoire. Jeune Etat, Israël ne s’enracine pas moins dans une histoire millénaire. C’est cette conscience aiguë de son héritage, cet amour du passé qui lui permet de se propulser vers l’avenir. C’est aussi probablement cette identité assumée qui dérange autant. Face à une Europe posthistorique et postnationale, Israël apparaît comme l’un des rares Etats-nations décomplexés. Comme le souligne Gozlan, l’armée est d’ailleurs le ciment de la cohésion israélienne. L’Etat hébreu n’est cependant pas dépourvu de faiblesse dont la journaliste ne cache rien. Israël, Babel où les exilés se sont rassemblés en provenance de 102 pays, a dû se dépasser pour intégrer des citoyens séparés par la langue, la culture, les traditions et la couleur de peau. Si pour l’heure, le sentiment d’appartenance transcende les différences, le pays est miné par des fractures internes grandissantes. La guerre entre laïcs et religieux est peut-être plus importante que celle qui oppose le « camp de la paix » aux
« faucons », note Gozlan, qui redoute de voir l’Etat hébreu se transformer en une « mosaïque de clans conflictuels ». En cela, Israël ne diffère pas du reste de l’Occident.