LE BLOC-NOTES de Philippe Bouvard
Depuis que je crois avoir entendu l’Etat me promettre des prothèses auditives gratuites que, faute de lunettes au même tarif, je n’ai toujours pas vu venir, je me console en me disant qu’on parle plus fort aux malentendants lorsqu’ils vieillissent. J’ai donc déjà ouï dire que Manuel Valls, naturalisé français en 1982 et ancien Premier ministre de la Ve République, souhaitait devenir maire de Barcelone mais pas encore qu’Hidalgo remplacerait volontiers Letizia comme reine d’Espagne. J’ai ouï dire que la justice, qui s’était montrée si pressée au moment de l’élection présidentielle de 2017, ne paraissait plus s’intéresser aux petites combines de François Fillon. J’ai ouï dire que le gouvernement ambitionnait de faire baisser le nombre de morts sur les routes secondaires mais n’envisageait pas d’interdire la vente du tabac aux buralistes de village. J’ai ouï dire qu’il y avait des dizaines de milliers de sans-toit en France et des dizaines de milliers de toits sans occupant dans les palais nationaux. J’ai ouï dire qu’à travers le globe une femme était violée toutes les cinq minutes mais je n’ai pas entendu affirmer qu’un seul homme se plaignait d’avoir été agressé sexuellement par des femmes pratiquant la boxe ou la lutte gréco-romaine. J’ai ouï dire que Nicolas Sarkozy était un grand communicant la veille du jour où on a révélé que la justice faisait écouter ses communications. J’ai ouï dire que si les ministres ne trouvaient pas l’oreille des syndicats c’est parce qu’à l’ENA et à Normale sup on étudiait les tragédies de Racine plutôt que le dialogue social. J’ai ouï dire que si le salaire de nos présidents était aussi modeste c’était pour décourager les politiciens désireux de s’enrichir. J’ai ouï dire que le défaut des grandes qualités, comme la modestie et le désintéressement par exemple, c’est qu’elles disparaissaient à la minute précise où l’on commençait à s’en vanter. J’ai ouï dire que la voiture était la plus belle conquête de l’homme jusqu’à ce que la femme s’empare du volant. J’ai ouï dire qu’on avait découvert Macron comme les antibiotiques. Par hasard. J’ai ouï dire que si certains oiseaux effectuaient des vols de 10 000 kilomètres sans grève ni revendication c’est parce qu’ils n’étaient pas syndiqués. J’ai ouï dire que si dans le passé les rosières épousaient des militaires c’est parce que les unes et les autres avaient prouvé qu’ils savaient repousser les assauts. J’ai ouï dire que le Créateur de toutes choses n’avait pas plus fait de déclaration à la Sacem, à la SACD et à un institut de la propriété industrielle qu’il ne s’était fendu d’une lettre d’accréditation en faveur du pape. J’ai ouï dire que sans les entractes du sommeil aucun couple ne célébrerait ses noces d’or. J’ai ouï dire qu’en haut lieu on considérait qu’on n’endiguerait pas la montée des viols sans criminaliser le baiser sur la bouche. J’ai ouï dire qu’il y avait heureusement davantage d’imagination dans le Kamasutra que dans le dictionnaire qui ne dispose que de l’unique expression « faire l’amour » pour désigner la passion authentique et ce que les joueurs d’échecs appellent la « prise en passant ». J’ai ouï dire que les impôts ne baisseraient jamais et que la seule façon d’apaiser la grogne des contribuables résidait dans l’affirmation dénuée de toutes certitudes qu’ils n’augmenteraient plus. J’ai ouï dire que l’économie circulaire était la trouvaille grâce à laquelle les vieux mégots se transformaient en plaques de plastique encore plus dangereuses pour l’avenir de l’humanité. J’ai ouï dire que Nordahl Lelandais avait été vu en 1984 sur les berges de la Vologne. J’ai ouï dire qu’il n’était nul besoin de posséder un râtelier pour attraper le rhume des foins. J’ai ouï dire que le pouvoir politique s’arrêtait là où commençait le pouvoir d’achat et que les prix flamberaient jusqu’à ce que la grande distribution renonce à faire celle des dividendes. J’ai ouï dire qu’il n’y aurait pas, à l’exemple des deux Corées, de réunification entre l’Afrique du Sud et l’Afrique du Nord sans glissement de terrain. J’ai tellement entendu dire que l’amour annulait tout sens critique que je me demande comment les jolies femmes peuvent se satisfaire des compliments simplistes de leurs soupirants. Je n’ai pas ouï dire que M. Hulot prendrait des vacances cette année en dépit de ses six engins motorisés. Je n’ai pas ouï dire que la suppression du taux zéro nous réconcilierait avec le capitalisme. Je n’ai pas ouï dire – mais j’en suis persuadé – que l’an prochain les contribuables épargnés par l’ISF qui n’ont pas investi les sommes économisées dans des start-up françaises devront de nouveau cracher au bassinet. Je n’ai pas ouï dire que la secrétaire d’Etat à l’Egalité entre femmes et hommes ait sollicité la nomination d’un adjoint de sexe masculin. Enfin, j’apprécierais qu’un de nos beaux esprits remarque que chaque fois que le locataire de l’Elysée se mettait en frais pour recevoir ou visiter un puissant homologue on déchirait un traité.
“A l’ENA et à Normale sup, on étudie les tragédies de Racine plutôt que le dialogue social”