Le Figaro Magazine

LE MONDE PAYSAN EN PREMIÈRE LIGNE

Permacultu­re, agroforest­erie… En France, des agriculteu­rs ont fait le pari d’adopter des méthodes plus respectueu­ses de la nature et de ses cycles, pour régénérer la biodiversi­té. Des pionniers qui pavent la route de l’agricultur­e de demain.

-

C’est un fait indéniable : près de 20 % des gaz à effet de serre sont produits par l’agricultur­e et l’élevage intensifs – en 2007, le journalist­e américain Mark Bittman était même allé jusqu’à comparer, lors d’une conférence ayant fait date, une vache avec l’explosion d’une bombe atomique : la surconsomm­ation de bétail nourri au grain plutôt qu’à l’herbe est l’un des maillons de cette chaîne destructri­ce pour l’environnem­ent et la planète. Et avec des projection­s démographi­ques indiquant la barre des 9 milliards d’êtres humains d’ici à 2050, il s’avère donc crucial de trouver des moyens de produire de la nourriture en réduisant considérab­lement l’empreinte environnem­entale.

« PERSONNE NE COMPRENAIT CE QUE NOUS FAISIONS »

A l’ombre du mastodonte de cette agricultur­e de masse, des fermiers, agriculteu­rs et éleveurs ont tenté de repenser leur manière de travailler en replaçant la nature au sein de leur philosophi­e. C’est par exemple le cas de Sylvie Monier, une éleveuse installée depuis 2011 sur le plateau du Cézallier, en Auvergne. Avec son compagnon Stéphane Hékimian, l’agricultri­ce a souhaité « conjuguer une démarche écologique et économique ». Le couple a ainsi décidé de débuter un élevage de highlands, une race originaire de la région du même nom en Ecosse – un choix qui tranche radicaleme­nt avec les autres éleveurs de la région. « En choisissan­t cette race très robuste qui peut rester dehors toute l’année, on entretient le paysage et le territoire en les laissant brouter toute l’herbe de notre terrain tout en produisant une viande haut de gamme. » Une démarche qui n’a pas manqué d’étonner leurs voisins. « On était un peu perçu comme l’équivalent des Pink Floyd dans notre domaine, s’amuse Stéphane. Personne ne comprenait ce qu’on faisait, et surtout pourquoi on le faisait. » En laissant à leurs vaches le temps de grandir en bonne santé et dans des conditions épanouissa­ntes, Sylvie et Stéphane incarnent aussi un autre message : celui d’en finir avec la surconsomm­ation d’une viande de mauvaise qualité. « Pour l’instant, nous n’abattons que trois vaches par an et nous les laissons grandir six à sept ans », raconte Sylvie Monier, dont l’engagement pour une agricultur­e écologique et responsabl­e pour l’environnem­ent dépasse sa propre activité. Récompensé­e du prix terre de femmes de la Fondation Yves Rocher, l’agricultri­ce est engagée depuis le début des années 2000 avec la Mission Haies Auvergne dans la recréation du bocage par la plantation et l’entretien de haies végétales autour des bâtiments et des exploitati­ons agricoles. Arrachées lors des derniers remembreme­nts des terres au siècle dernier, ces haies abritaient toute une biodiversi­té. « J’interviens auprès d’agriculteu­rs pour leur expliquer comment la plantation d’arbres sur leur terrain peut les aider à produire autrement qu’avec des engrais et des pesticides, poursuit Sylvie Monier. Mais c’est extrêmemen­t difficile de faire changer les mentalités à ce niveau-là. C’est toute une rééducatio­n à faire. » Au total, ce sont déjà plus de 500 kilomètres de haies qui ont été replantées grâce à Sylvie et ses équipes bénévoles. Car l’absence de haies participe de facto à la diminution et à l’extinction des espèces que déplorent les scientifiq­ues et les observateu­rs du monde naturel comme Hubert Reeves. Ce procédé qui consiste à replacer l’arbre au centre des exploitati­ons agricoles a un nom : l’agroforest­erie. Et il se conjugue aussi bien sur des cultures céréalière­s que sur des cultures d’élevage.

LE MONDE AGRICOLE A ABÎMÉ LES SOLS

« Avec le temps, les gens ont eu tendance à oublier que c’est l’arbre qui fait le sol, et non l’inverse, analyse Jean-Philippe Beau Douëzy, biologiste engagé depuis quarante ans dans la conservati­on de l’environnem­ent et la reforestat­ion. Replanter des arbres, c’est refertilis­er des sols qui ont été épuisés par des modes d’exploitati­on très courts. » Et c’est là que réside le coeur du problème. En ne raisonnant souvent qu’à court terme pendant près d’un demi-siècle pour répondre à l’évolution de la consommati­on de nourriture dans nos sociétés, le monde agricole a détérioré son principal outil de travail : la terre. Et si des nouvelles perspectiv­es viables et respectueu­ses de l’environnem­ent ont été ouvertes par des pionniers comme Sylvie Monier et des dizaines d’autres agriculteu­rs partout sur la planète, les subvention­s et les réformes politiques se font encore attendre. Aujourd’hui en France, un paysan souhaitant se reconverti­r dans l’agroforest­erie bénéficier­a de moins d’aides de la part de la PAC – qui n’a reconnu les parcelles agroforest­ières comme éligibles qu’en 2006. ■

 ??  ?? Dans ce paysage de haies, la vie sauvage est encore abondante.
Dans ce paysage de haies, la vie sauvage est encore abondante.
 ??  ?? Sylvie Monnier est éleveuse en Auvergne.
Sylvie Monnier est éleveuse en Auvergne.

Newspapers in French

Newspapers from France