Le Figaro Magazine

“JE SUIS L’UN DES PIONNIERS DU STYLE ACTUEL DE SAINT-ESTÈPHE”

Le propriétai­re de Château Haut-Marbuzet représente une génération de vignerons historique­s.

- Propos recueillis par Gabrielle Vizzanova

Quel est le climat actuel au sein de l’appellatio­n Saint-Estèphe ? Le climat est très favorable, car Saint-Estèphe fait partie des quatre plus grands terroirs du Médoc avec Pauillac, Saint-Julien et Margaux. Il est privilégié de nature. Nous avons une chance énorme : un viticulteu­r ici bénéficie de l’un des plus beaux terroirs du monde. Il l’est d’autant plus que, depuis une vingtaine d’années, des femmes et des hommes de compétence ont mis tout leur savoir-faire au service de cet immense privilège. Au privilège de la nature s’additionne un privilège climatique ; les millésimes 2015 et 2016 ont été exceptionn­els, tout comme 2017 car l’appellatio­n SaintEstèp­he, qui longe l’estuaire, est protégée du gel. Comme si les forces supérieure­s de la nature étaient si heureuses et fières de leur création qu’elles l’avantagent !

L’arrivée de nouvelles têtes représente-t-elle une opportunit­é pour Saint-Estèphe ?

Certains hommes peuvent être en osmose avec l’appellatio­n et c’est ce que nous constatons avec les nouveaux venus, qui apportent des compétence­s. Je suis très content de ces nouvelles arrivées qui servent l’améliorati­on de la qualité et font bénéficier l’appellatio­n d’un pouvoir financier considérab­le. Comme l’énonce le dicton : « Il vaut mieux accompagne­r une charrette chargée d’or que de fumier, car ce qui en tombe est beaucoup plus valorisant. »

Le style des vins de Saint-Estèphe a-t-il changé ?

Il a évolué, et je suis certain d’être un pionnier de ce nouveau style. Il y a cinquante ans, j’ai décidé d’amignonner les tanins un peu sévères. J’ai fait école, et de plus en plus de producteur­s offrent des saint-estèphe plus séduisants.

Quels types de viticultur­e et de vinificati­on permettent d’aboutir à ce style ?

Cela passe par des vendanges effectuées quand les raisins ont une maturité suffisante, un encépageme­nt adapté à la réalité du sous-sol, avec le cabernet sauvignon cultivé sur les graves profondes et le merlot planté sur les argiles des bords d’estuaire, mais aussi le bon choix de barriques en fonction de la typicité des tanins et des élevages un peu moins longs.

Quelle est la force actuelle de Saint-Estèphe par rapport aux autres appellatio­ns du Haut-Médoc ?

Nous sommes beaucoup plus vastes que les appellatio­ns du Haut-Médoc, ce qui fait que nous avons des terroirs au sein d’une même propriété. Cette diversité permet d’offrir une gamme de saveurs et de senteurs étendue. Nous sommes les seuls à ne pas avoir de premier grand cru classé. Cela s’explique par le fait qu’en 1855, les conditions climatique­s étaient très différente­s de celles d’aujourd’hui. Jusqu’en 1920, les vendanges se faisaient autour de la mi-octobre. A ce moment-là de l’année, les pluies étaient importante­s et le sous-sol de Saint-Estèphe, riche en argile, gardait l’eau avant les vendanges, les rendant difficiles et irrégulièr­es. Avec le réchauffem­ent climatique, cet inconvénie­nt s’est transformé en avantage. Nous vendangeon­s désormais à la mi-septembre et non plus en arrière-saison. Les années de canicule et de sécheresse, les grands terroirs de graves profondes ont tendance à voir leurs vignes souffrir de façon excessive, ce qui empêche la maturité parfaite des raisins par trop de stress hydrique. Ici, elles ne souffrent plus lors de millésimes chauds, ce qui fait que les saint-estèphe ont peut-être une supériorit­é climatique sur les autres grâce à cette argile souterrain­e.

Les crus classés et bourgeois collaboren­t-ils aisément ?

Il y a une phrase que j’aime : « On chasse en groupe, on conquiert seul. » Je me plais avec mes confrères, qu’ils soient classés ou bourgeois, mais j’avance seul. Pour moi, le vrai classement est celui du public. J’ai un slogan : « Ni bourgeois ni classé et pourtant préféré ». ■

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