Le Figaro Magazine

UN DOMAINE EN OR

Chai flambant neuf, respect absolu du terroir… Basile Tesseron propulse sa propriété dans la modernité vinicole. Ses vins le lui rendent bien.

- Jean-François Chaigneau

Basile Tesseron (photo) avait pourtant juré de ne jamais devenir vigneron. Aujourd’hui, il ne quitterait sa terre pour rien au monde. A 39 ans, il tient seul les rênes de Lafon-Rochet, un étonnant château couleur vieil or, unique en Bordelais. « Une fantaisie de mon père, raconte-t-il, en réponse à un confrère vigneron qui se moquait de cette bâtisse si discrète qu’on ne la remarquait pas. Surtout auprès des extravagan­tes pagodes de Cos d’Estournel, toutes proches. » Alors, il l’a peinturlur­é d’abord en trois couleurs : jaune, rouge et vert. A l’usage, le jaune l’a emporté et donne à cet ancien prieuré une teinte originale de palais vénitien en plein Médoc… Par souci de cohérence, son père avait coloré pareilleme­nt l’étiquette de ses bouteilles. Bingo : le jaune est la couleur impériale en Chine, une couleur portebonhe­ur. Tout l’Extrême-Orient a suivi : Lafon-Rochet, toqué d’or, s’exporte aujourd’hui à 60 %, et l’Asie figure en tête de peloton. Aujourd’hui, le château fait partie des circuits organisés.

UN FILON D’ARGILE BLEUE

Les Tesseron sont dans le cognac depuis cinq cents ans. Et, avec le grand-père maternel, Pierre Lillet, aussi dans les apéritifs (Lillet). Ils arrivent en Bordelais en 1959 avec l’acquisitio­n de Lafon-Rochet (quatrième grand cru classé en 1855), puis Pontet-Canet (cinquième) en 1970. A la mort de Guy Tesseron, le patriarche, le partage se fait entre les quatre enfants. Pontet-Canet va à Alfred et Gérard. Lafont-Rochet à Caroline et Michel, le père de Basile : 45 hectares dont 42 d’un seul tenant coiffés d’un prieuré sur la croupe de Saint-Estèphe, une île cernée par les marais. En bas coule la jalle du Breuil, même pas une rivière, un filet d’eau qui s’épuise et finit pourtant par atteindre le fleuve. Il sépare Saint-Estèphe de Pauillac. On aperçoit les toits de Lafite-Rothschild, le château de Pontet-Canet, les pagodes de Cos d’Estournel et MoutonRoth­schild… Basile vient de refaire tout le cuvier. Béton à 60 % et inox à 40 % : « L’inox, c’est la netteté, la propreté, le côté cave façon clinique. Parfait pour une laiterie ou l’industrie pharmaceut­ique. Pas pour le vin. Le béton pur et brut est une matière noble. Sur les grands terroirs, il est meilleur. » Se serait-on trompé pendant cinquante ans ? « L’inox a été une technique extraordin­aire mais, quelquefoi­s, on trouve qu’un dîner à la bougie a plus de charme qu’avec un néon. On fait des vins pour les boire. Le retour au béton est un retour à notre goût. A Lafon-Rochet, on a la chance d’avoir une fin de bouche légèrement iodée très caractéris­tique. Le béton la révèle encore mieux. »

Ces dernières saisons, comme beaucoup d’autres domaines du Médoc, Lafon-Rochet a souffert des aléas météorolog­iques, et en particulie­r du gel, en avril 2017 : « Nous avons perdu 20 % de la récolte, Ce qui n’était pas arrivé depuis 1991. » Mais, la propriété peut se targuer d’une belle découverte géologique, qui date de 2010. « Un an plus tôt, un journalist­e goûte un de mes vins et dit : “C’est tellement bon que tu ne pourras jamais faire mieux.” J’étais piqué au vif. On a creusé. Nous avons trouvé de très bons terroirs dont de l’argile bleue, comme dans le sol de Pétrus, à proportion de 30 % du vignoble, laquelle représente aujourd’hui 50 % du grand vin. L’argile bleue est précieuse. L’hiver, la première couche sèche et durcit mais protège l’autre en dessous, qui reste humide et fraîche. Cela fait une terre difficile à travailler. Quand on passe dans les vignes après la pluie, on soulève 3 ou 4 kilos à chaque pied. Elle colle aux chaussures et ne vous quitte plus. On dit de cette terre qu’elle est amoureuse. Je le suis aussi. Amoureux de mon vin. Je le reconnaîtr­ais entre tous : suavité, rondeur, douceur… Telle est pour moi la plus belle des signatures. » ■

 ??  ??
 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France