PLACEMENTS FINANCIERS : SACHEZ DÉMASQUER LES ARNAQUEURS
Devises, diamants, bitcoin : les escroqueries financières ne manquent pas sur internet. Nos conseils pour démasquer les aigrefins.
Un rendement garanti de 8 % et jusqu’à 40 % de gains ! Une seule condition pour souscrire à ce placement miracle : consentir à tout ignorer des investissements réalisés pour y parvenir. Il ne s’agit pas de la dernière arnaque proliférant sur internet… mais de l’argument développé par la « banquière » parisienne Marthe Hanau en 1924. Cette financière atypique parviendra à convaincre de nombreux petits épargnants de l’intérêt de lui confier leurs économies. En guise de stratégie de placement, elle n’organisait pourtant qu’une banale pyramide de Ponzi, du nom de ce financier américain des années 1920 qui ne rémunérait ses investisseurs qu’avec l’argent frais des nouveaux venus. Qu’un certain nombre en viennent à récupérer leur mise et le château de cartes s’effondre, avec de grosses pertes à la clé. Marthe Hanau a fini ses jours en prison. Bernard Madoff, un autre adepte du système de Ponzi, a été condamné en 2009 à 150 ans de prison. L’escroquerie orchestrée par la star déchue de Wall Street a dépassé par son ampleur toutes les précédentes : 65 000 demandes de remboursement ont à ce jour été recensées dans 134 pays, pour un préjudice pharaonique évalué à 65 milliards de dollars, intérêts compris. Durant vingt ans, Bernard Madoff est parvenu à séduire, au nez et à la barbe des régulateurs, grandes fortunes comme petits épargnants, banques et hedge funds du monde entier. Une dégringolade qui a inspiré plusieurs films.
LES TAUX BAS BROUILLENT LES REPÈRES
Les arnaques de cette ampleur sont heureusement rarissimes. Mais, si les montants en jeu sont moins impressionnants, les pyramides de Ponzi et autres escroqueries vieilles comme la finance continuent de prospérer, au détriment des épargnants. Internet, souvent premier point de contact entre escrocs et investisseurs, leur offre même de nouvelles perspectives. Quant au contexte économique, il contribue à brouiller les repères. « Certaines personnes ont encore en mémoire les rendements qu’il était courant d’obtenir lorsque l’inflation était plus éle-
vée, constate Claire Castanet, directrice des relations avec les épargnants au sein de l’Autorité des marchés financiers (AMF). Et, dans le même temps, les rendements très bas que l’on connaît aujourd’hui peuvent en inciter d’autres à prendre des risques inconsidérés pour obtenir une meilleure performance. »
Lorsque les fonds euros de l’assurance-vie rapportent 1,8 % en moyenne et que le Livret A ne protège plus contre l’inflation, les promesses de rendement de 7 % ou 8 % peuvent être tentantes. Mais gare ! « L’AMF répète qu’il n’y a pas de rendement élevé sans risque élevé. Il est plus exact de dire qu’il n’y a pas de rendement élevé sans risque d’arnaque élevée », avertissent Hélène Féron-Poloni et Nicolas Lecoq-Vallon, tous deux avocats d’épargnants floués. Dans leur cabinet se croisent des victimes des principales escroqueries financières actuelles. Le dernier rapport du médiateur de l’AMF, qui défend les épargnants en conflit avec un intermédiaire financier, donne une idée de celles qui reviennent le plus souvent sur leur bureau. L’année dernière figuraient en première position les affaires liées au trading sur le marché des changes (aussi appelé Forex, Foreign Exchange Market), qui ont explosé ces dernières années. Ce placement est en lui-même très risqué puisque le Forex est un marché non régulé où les variations des devises peuvent être très fortes. « Il est très difficile de prévoir l’évolution d’un indice à très court terme : cela revient à jouer à un jeu de hasard », avertit l’AMF. C’est compter sans le fait que de nombreux sites proposant cette activité sont de faux traders qui s’empressent de détourner à l’étranger les fonds placés.
Afin de juguler cette activité frauduleuse, l’AMF a obtenu l’interdiction de la publicité en ligne pour le trading sur le Forex ou les options binaires. Avec quelques résultats : l’année dernière, les plaintes concernant ces deux types d’investissement ont baissé de plus de 50 %. A compter du mois de juin, la vente d’options binaires aux particuliers sera par ailleurs interdite, et celle de contrats sur les différences, dont le sous-jacent est souvent le Forex, fortement restreinte.
Mais lutter contre les escroqueries financières est un travail de Sisyphe. « La nature ayant horreur du vide, la courbe descendante des victimes de Forex s’est croisée en 2017 avec celle, ascendante, des victimes de placements en diamants », se désole Marielle Cohen-Branche, le médiateur de l’AMF. Au point de se demander si les mêmes aigrefins ne tirent pas les ficelles. Les diamants d’investissement doivent pourtant à tout prix faire fuir les épargnants : aucune société n’ayant à ce jour obtenu l’agrément de l’AMF, nécessaire pour toute vente de placements atypiques, toutes sont illégales. « Ces escrocs ne demandent jamais d’investir 20 000 € la première fois. Ils proposent d’abord une petite pierre à 1500 €, et vous restituent souvent 1 800 € au bout de trente jours pour gagner votre confiance. Et puis ils vous rappellent pour vous faire part d’une offre exceptionnelle, par exemple un lot de cinq pierres de très belle qualité pour 10 000 € », mettent en garde Nicolas Lecoq-Vallon et Hélène Feron-Poloni. Mais la pierre n’arrive jamais, ou se révèle valoir une part infime de ce qu’elle a été payée… Et l’argent est perdu.
IL FAUT PARFOIS PAYER POUR RÉCUPÉRER SON ARGENT
En matière d’escroquerie financière comme en matière d’habillement, les modes se succèdent. Les escrocs tirent actuellement profit de la récente envolée du bitcoin pour attirer les capitaux. Jean-Marc, propriétaire d’un laboratoire d’analyses médicales à la retraite, vient d’y perdre près de 200 000 €. Comme souvent, c’est une publicité sur internet qui a attiré son attention. Après avoir laissé ses coordonnées, une jeune femme, « très conviviale », l’a rappelé. « Elle est parvenue à instaurer une relation de confiance, a obtenu que je lui parle de ma vie et l’informe du montant de mes économies », se souvient-il. Les escrocs lui ouvrent un compte sur un site internet très réaliste, 01Crypto.net, qui singe un portefeuille boursier virtuel, et le rappellent toutes les semaines pour l’inciter à investir. Ils lui promettent ponctuellement, pour certains
LES ESCROCS TIRENT PROFIT DE LA RÉCENTE ENVOLÉE DU BITCOIN POUR FAIRE MIROITER DES GAINS MIROBOLANTS
« coups », un rendement de 10 ou 12 %. « Lorsque j’étais plus réticent, ils me culpabilisaient. Ils me disaient qu’ils avaient pris des positions pour moi, qu’ils ne pouvaient plus reculer », déplore Jean-Marc. Mais, lorsqu’il a souhaité retirer une partie de l’argent investi, les aigrefins n’étaient plus joignables. Un couple d’épargnants aisés ayant misé une somme équivalente se sont de leur côté vu demander 50 000 euros de « taxes » pour retirer leur mise. Le scénario est presque toujours le même. « Lorsqu’il y a arnaque, l’hameçonnage se fait presque toujours par internet, puis par téléphone : une personne rappelle, instaure une relation quasi personnelle en se montrant bienveillante. Mais c’est de la manipulation », constate Claire Castanet. Malgré des taux de rendement nettement supérieurs aux taux des placements garantis, les risques de perdre son épargne ne sont jamais évoqués. Pas plus que les frais qui grignotent habituellement le rendement. Les gains annoncés varient le plus souvent autour de 7 %, un chiffre que les escrocs jugent suffisamment élevé pour attirer les épargnants, mais pas trop pour rester crédible. L’envoi successif de plusieurs RIB de comptes domiciliés à l’étranger est aussi particulièrement suspect. Ce scénario se décline presque à l’infini, au gré de l’imagination des aigrefins. Les épargnants sont abreuvés de propositions d’investissement dans les biens divers tels que les diamants, le vin, les timbres, les pièces anciennes, les manuscrits ou encore les terres rares (métaux). Selon un sondage de l’AMF réalisé en 2016, 28 % des Français ont déjà été démarchés par des sociétés proposant des placements atypiques. Autant d’alternatives aux produits financiers traditionnels qui rassurent par leur caractère tangible et font écho aux passions des investisseurs. « Mais, si l’on veut vraiment investir sur un produit atypique comme ceux-là, mieux vaut choisir un établissement financier de premier ordre », met en garde le cabinet d’avocats. Les 18 000 épargnants ayant investi 850 millions d’euros dans les manus- crits d’Aristophil, société aujourd’hui en liquidation judiciaire, ne diront pas le contraire…
La défiscalisation, enfin, est une autre porte d’entrée des escrocs, à l’instar de DOM-TOM Défiscalisation, cette société qui promettait d’investir dans des panneaux photovoltaïques outre-mer et qui a piégé quelque 4 000 épargnants. Jean-Pierre, à l’époque cadre supérieur aux revenus très confortables, souhaitait réduire son impôt sur le revenu. « Mais toutes les sommes investies ont été détournées. Et j’ai finalement dû payer 10 % de pénalités au Trésor public », se souvient-il.
LES INVESTISSEURS SE SURESTIMENT
Car les arnaques financières ne sont pas réservées aux moins informés. « Il n’y a pas de profil type de victime, tout le monde l’est potentiellement », rappelle Claire Castanet. Les investisseurs les plus aguerris peuvent se laisser piéger, tant les escrocs font preuve de savoir-faire. Et nous sommes d’autant plus vulnérables que notre cerveau travaille parfois contre nous, comme le montre la finance comportementale. « Nous pâtissons souvent d’un excès de confiance, explique Mickaël Mangot, économiste. Nous avons tendance à penser que nous sommes, plus que les autres, capables d’identifier une arnaque. Et nous baissons la garde. » Autre biais psychologique qui joue en faveur des escrocs : nous n’aimons pas les regrets. Face à une opportunité extraordinaire, chacun a en tête le sentiment qu’il aurait s’il passait à côté. Et, si certaines attitudes diminuent avec l’expérience, d’autres au contraire se renforcent ! Une personne ayant obtenu une fois un bon rendement a par exemple tendance à se l’attribuer, plutôt qu’aux marchés, ce qui diminue sa vigilance. « Muscler la partie analytique de son cerveau permet toutefois de compenser ces biais émotionnels, explique l’économiste. Il est par exemple possible de garder à l’esprit que, sur un marché réglementé et hautement compétitif, toutes les in-
LES ARNAQUES FINANCIÈRES NE TOUCHENT PAS SEULEMENT LES ÉPARGNANTS LES MOINS INFORMÉS
formations sont quasi immédiatement intégrées au cours. Les anomalies, les opportunités extraordinaires disparaissent très vite, si bien qu’il est extrêmement peu probable qu’il s’en présente aux épargnants. » A l’instar de la prudente Constance Birotteau, femme du parfumeur de Balzac victime d’une arnaque qui le laissera sans le sou, chacun devrait ainsi se demander : « Pourquoi viendrait-on t’offrir des millions ? »
En cas de doute, l’AMF met à disposition des épargnants un numéro de téléphone (01.53.45.62.00) via lequel elle répond à toutes leurs questions sur l’épargne et la Bourse. Et s’il est trop tard ? « Il faut porter plainte au commissariat le plus proche et se rapprocher éventuellement d’une association en pointe sur l’arnaque en question », conseille Matthieu Robin, de l’UFC-Que Choisir. Mais, pour récupérer sa mise, une procédure pénale est rarement suffisante. « Si la personne morale a déposé le bilan, les créances sont irrécouvrables. Notre stratégie est d’attaquer un tiers civilement responsable, en général les banques, pour obtenir réparation », expliquent Nicolas Lecoq-Vallon et Hélène Féron-Poloni. Les deux avocats viennent de remporter une victoire stratégique contre une banque située à l’étranger, HSBC Hong Kong. Gare, enfin, à ne pas tomber dans l’ultime piège tendu par les escrocs : celui de vous faire croire que vous pourrez récupérer la mise perdue par leur intermédiaire. Ainsi d’un certain M. Villard, qui contacte les épargnants au nom de l’AMF et cherche à leur extorquer encore davantage sous couvert de les aider. Le comble de l’escroquerie ! ■
EN CAS DE DOUTE, L’AMF MET UNE LIGNE DIRECTE À DISPOSITION DES ÉPARGNANTS