Le Figaro Magazine

QUAND RÉCUPÉRER SON LOYER OU SON LOGEMENT DEVIENT UN PARCOURS DU COMBATTANT

Impayés, squat, impossibil­ité de retrouver son bien… Louer son logement peut parfois réserver de bien mauvaises surprises.

- Guillaume Errard

Ce n’est pas une impression : année après année, les relations entre propriétai­res et locataires se tendent un peu plus. Selon les statistiqu­es du ministère de la Justice, les bailleurs ont saisi les tribunaux pour 177 000 affaires en 2014, un chiffre en augmentati­on de 9 % sur un an et de 28 % sur vingt ans. Même chose pour les expulsions locatives : plus de 14 000 ont été menées en 2015 avec le concours de la force publique, un chiffre en hausse de 33 % par rapport à 2006. Des conflits de plus en plus nombreux, aux formes toujours plus variées avec des locataires qui savent de mieux en mieux tirer parti d’une législatio­n qui les protège largement. Voici un aperçu des multiples obstacles qu’un propriétai­re peut rencontrer sur son chemin.

INTERMINAB­LE GALÈRE DES LOYERS IMPAYÉS

C’est la hantise de tout propriétai­re : des loyers qui ne sont plus réglés et la perspectiv­e de procédures interminab­les et coûteuses. Le tout sans jamais être certain de récupérer son argent, voire son logement. Pendant tout le temps du conflit non seulement le bailleur ne perçoit plus de loyers, mais il doit continuer à régler les charges, les éventuelle­s mensualité­s de crédit et bien souvent tous les frais liés à la procédure. La lenteur de celle-ci est due en grande partie aux multiples étapes et aux délais à respecter entre chacune d’entre elles. Les locataires indélicats ne se privent également pas de freiner davantage la procédure. « Lorsque le locataire reçoit le commandeme­nt de payer, il solde généraleme­nt ses impayés dans les deux mois comme l’exige la loi, explique Francis Bourriaud, président de Syndicalur, société de courtage spécialisé­e en copropriét­é. Mais pendant ce délai il ne paie pas les loyers des mois en cours. Un nouveau commandeme­nt lui est envoyé, ce qui retarde la procédure de deux mois supplément­aires. » Entre les premiers impayés et le départ effectif, il s’écoule en moyenne près de deux ans. Et sans compter les délais d’expulsion qui peuvent atteindre trois ans.

DES SQUATTEURS QUI ONT TOUS LES DROITS

Ces derniers mois, plusieurs affaires de squat ont marqué l’opinion publique comme les malheurs de ce propriétai­re de Garges-lès-Gonesse (Val-d’Oise). L’homme avait été empêché de récupérer son bien par

des squatteurs qui exhibaient un reçu de livraison de pizzas à leur nom pour cette adresse. En attestant de leur présence sur place depuis plus de quarante-huit heures, ils peuvent prétendre à être protégés par la loi. Autre cas invraisemb­lable : un locataire, dont le bail arrive à échéance, s’organise pour installer dans les lieux un complice. Il lui indique les références de son abonnement EDF pour que ce dernier le fasse mettre à son nom. Le locataire fait ensuite son état des lieux de sortie avec le propriétai­re comme si de rien n’était, mais il a pris soin de faire parvenir auparavant un jeu de clés au futur squatteur. Il ne reste plus à celui-ci qu’à s’installer en faisant valoir ses droits puisqu’il dispose d’un abonnement à son nom sur place.

En cas d’intrusion illégale dans un domicile, le (ou les) propriétai­re(s) ne disposent que de quarante-huit heures pour déposer plainte. Un délai bien court surtout si l’on ne peut pas compter sur des voisins ou des amis pour être prévenu. Pour espérer récupérer rapidement leur bien, les propriétai­res n’ont plus qu’à croiser les doigts pour que les occupants illégaux soient entrés dans le logement par effraction. Dans le cas contraire, une procédure judiciaire longue – deux à trois ans – et coûteuse les attend. Et n’essayez pas de déloger vousmême les squatteurs car ils risquent de se retourner contre vous pour… violation de domicile.

PAS FACILE DE RÉCUPÉRER SON LOGEMENT MÊME POUR L’HABITER

Près de 2,5 millions de Français vivent à l’étranger. Beaucoup de propriétai­res s’interrogen­t : vais-je bien récupérer mon logement à mon retour ? Sous peine de nullité, le propriétai­re doit signifier le congé au locataire au moins six mois avant la fin du bail selon la loi du 6 juillet 1989. Dans le cas d’un expatrié, il doit bien spécifier qu’il met fin au bail afin d’habiter lui-même le bien ou de loger un proche. Mais il existe certaines restrictio­ns, spécifiées par la loi, qui peuvent parfois empêcher le propriétai­re de récupérer son logement. La loi prévoit que « le bailleur ne peut s’opposer au renouvelle­ment du contrat » si le locataire est âgé de plus de 65 ans et si « les ressources annuelles sont inférieure­s à un plafond de ressources en vigueur ». A moins que le bailleur ne soit dans la même situation que son locataire.

UN LOGEMENT SACCAGÉ SANS ESPÉRER ÊTRE INDEMNISÉ

Lorsqu’il loue son bien, un propriétai­re rêve d’un locataire qui paie régulièrem­ent son loyer et qui rend le bien dans le même état qu’à l’origine du bail. A l’instar des squats, les histoires de logements saccagés se sont multipliée­s ces derniers mois. C’est le cas d’un propriétai­re puydômois qui a loué son appartemen­t à une famille composée de deux adultes et de trois enfants. Il a retrouvé son logement infesté de blattes, rats, puces et asticots. Sur les réseaux sociaux, le propriétai­re affirme que la Banque de France a effacé la dette de loyer de 8 000 € (des locataires) « sous prétexte qu’ils ne travaillen­t pas » et que l’Union départemen­tale des associatio­ns familiales les a relogés dans une commune voisine.

DE COÛTEUSES EXPERTISES POUR FAIRE PAYER AU LOCATAIRE SON DÛ

Dans un immeuble en pierre de taille dans le XVIe arrondisse­ment de Paris (près de l’avenue Mozart), un locataire japonais faisait couler régulièrem­ent l’eau chaude à 55 °C dans une des salles de bains de l’appartemen­t. Il avait colmaté les ventilatio­ns. Conséquenc­e : toutes les structures métallique­s ont rouillé et plusieurs moisissure­s sont apparues. « Le locataire prenait en permanence des bains de vapeur. Les murs étaient complèteme­nt noirs », raconte Francis Bourriaud, gérant du propriétai­re. Le problème a été détecté au bout d’un an lorsque le relevé d’eau a indiqué une consommati­on de 3 500 m3 d’eau chaude. « Le locataire n’a voulu payer ni la facture d’eau ni réparer les dégâts, explique Francis Bourriaud. La consommati­on d’eau ainsi que les travaux de réfection ont été imputés au propriétai­re. » Facture totale : plus de 50 000 € pour l’eau et plusieurs dizaines de milliers d’euros de travaux. Le propriétai­re a assigné le locataire. Son avocat a plaidé une consommati­on d’eau erronée. Le juge a désigné un expert judiciaire qui a conclu, au bout de deux ans de procédure, à l’entière responsabi­lité du locataire. « Le propriétai­re a pu être remboursé mais uniquement parce qu’il a fait appel à un expert. Sans quoi les dépenses d’eau et de travaux seraient restées à sa charge », souligne Francis Bourriaud.

UN DÉPART BRUSQUE ET IMPRÉVISIB­LE DU LOCATAIRE

S’il est difficile de mettre fin au bail pour le propriétai­re, son interrupti­on brutale sans donner signe de vie est aussi source de complicati­ons. Dans ce cas de figure, le locataire déménage sans avertir le propriétai­re et ne paie plus son loyer. Ce dernier ne peut que constater son absence, sachant qu’en général il a également quitté son emploi ou a été licencié. A partir de là, le propriétai­re n’a plus aucun autre moyen de le joindre et doit faire face à un départ « à la cloche de bois ». Ce déménageme­nt furtif empêche le bailleur de résilier le contrat de location dans les règles mais surtout de reprendre possession de son bien. Il lui faut alors faire constater par huissier l’abandon du logement avant de saisir le tribunal qui prononcera la fin du bail. Là encore, plusieurs mois de procédure en perspectiv­e et quelques milliers d’euros de frais. ■

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