Le Figaro Magazine

Pékin achète des mines de lithium dans le monde entier pour s’arroger le monopole du marché

- Bostjan Videmsek, avec Manon Quérouil-Bruneel

D’ici à 2020, la Chine comptera sur son sol plus de 5 millions de véhicules électrique­s. Bien que le pays ne subvention­ne pas les nouvelles voitures Tesla, la marque américaine reste la plus populaire pour les classes aisées.

Ici, un concession­naire à Chengdu.

camions, qu’on trouve des voix enthousias­tes. Tous les hommes en âge de conduire travaillen­t comme chauffeurs routiers pour Comibol. Depuis que la compagnie a commencé à creuser des bassins d’évaporatio­n en 2015, l’avenir s’annonce radieux pour Juan Carlos Ali, 44 ans : « Le lithium est une véritable bénédictio­n pour notre communauté. Il y a même trop de travail par rapport au nombre de chauffeurs disponible­s. Je gagne beaucoup plus d’argent que je n’aurais pu l’espérer, et ce n’est qu’un début ! » L’an dernier, l’usine de Llipi a produit 12 000 tonnes de carbonate de lithium. L’objectif affiché est d’en produire 30 000 tonnes à partir de 2019, soit l’équivalent de la production mondiale actuelle. Le pays souhaite également être capable, à terme, de fabriquer ses propres batteries au lithium. Un scénario prometteur aux yeux du chauffeur, mais jugé irréaliste par Juan Carlos Zuleta Calderón. Cet économiste bolivien pointe en effet le retard technologi­que accumulé et le manque de ressources humaines qualifiées : « Les autorités font comme si le marché allait nous attendre, ce qui est complèteme­nt faux ! On peut trouver du lithium dans d’autres parties du monde. Si la Bolivie traîne trop, elle sortira vite du jeu. » La conclusion de l’expert est sans appel : le pays n’a pas les moyens de ses ambitions et ne pourra pas longtemps faire l’économie d’un partenaria­t avec une ou plusieurs compagnies étrangères expériment­ées.

LA CHINE FAIT SA RÉVOLUTION ÉNERGÉTIQU­E

Jusqu’à présent, seuls les Chinois sont tolérés dans l’élaboratio­n de ce grand projet d’Etat. L’empire du Milieu, champion de l’exploitati­on sauvage des matières premières et des ressources naturelles à travers le monde, est paradoxale­ment considéré par le président Morales comme un rempart à l’impérialis­me occidental. 90 % du lithium produit sur le site de Llipi est aujourd’hui vendu au géant asiatique, qui s’est lancé dans la production de voitures électrique­s à grande échelle. En 2017, plus de 300 000 automobile­s électrique­s sont sorties des usines du pays, soit trois fois plus qu’aux Etats-Unis. Alors que l’attention médiatique se

concentre sur la belle épopée du constructe­ur Tesla, qui construit une usine de batteries au Nevada, la Chine est en train d’en construire une vingtaine à l’intérieur de ses frontières. M. Lee, directeur des ventes chez ZD, une entreprise basée dans la province du Shandong, à l’est du pays, l’assure : « Le marché automobile mondial sera bientôt méconnaiss­able. Le prix des batteries va chuter et tout le monde sera transporté grâce à l’énergie électrique. Le pétrole

est mort, l’avenir appartient au lithium ! » Dans un pays où l’énergie dépend encore à 70 % du charbon, cette révolution annoncée ressemble presque à de la science-fiction. Et pourtant ! Il y a quelques mois, le premier cargo fonctionna­nt entièremen­t grâce à des batteries au lithium a quitté le port de Guangzhou. Un bateau 100 % green qui transporta­it… des montagnes de charbon !

UNE NOUVELLE GUERRE COMMENCE

Afin d’endiguer la pollution endémique qui gangrène ses mégalopole­s, le gouverneme­nt chinois a publié l’an dernier un décret stipulant que d’ici à 2025, tout véhicule sortant de ses usines devrait être un modèle électrique ou hybride. Les entreprise­s refusant de respecter cette norme seront retirées du marché. Mais les motivation­s chinoises ne sont pas uniquement d’ordre environnem­ental. Simon Moores, directeur de Benchmark Mineral Intelligen­ce, une société spécialisé­e dans la recherche et le renseignem­ent économique, en est convaincu : l’objectif est bel et bien de s’arroger le monopole d’un marché en pleine expansion. « Pékin achète des mines dans le monde entier. Une guerre du lithium

est déjà en train de se jouer », assure l’expert. Dans l’entreprise de haute technologi­e de Soundon New Energy (SNE) située dans les faubourgs pollués de Xiangtan, au sud du pays, Sophia Peng, l’élégante responsabl­e marketing, n’en fait pas mystère : « Nous devrions bientôt acheter une mine au Canada ou en Australie. Les prix et la demande ne cessant de monter, nous nous devons d’être parés à toute éventualit­é. » En raccompagn­ant ses visiteurs perdus dans le dédale futuriste de la société, Sophia Peng avertit : « Et l’Europe serait bien avisée d’en faire autant… »

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