Le Figaro Magazine

LECTURE/POLÉMIQUE

« Google contre WikiLeaks » est le récit de la rencontre improbable entre Julian Assange et Eric Schmidt. L’échange entre le cybermilit­ant et le président du géant technologi­que dessine un futur inquiétant…

- Alexandre Devecchio Google contre WikiLeaks, de Julian Assange, Editions Ring, 263 p., 18 €.

Le match du siècle

Effrayant ! C’est le mot qui vient à l’esprit en refermant le dernier livre de Julian Assange. Evénement éditorial, Google contre WikiLeaks dévoile la rencontre secrète entre deux des personnali­tés les plus influentes et mystérieus­es de l’époque : le lanceur d’alerte et fondateur du controvers­é WikiLeaks, Julian Assange, et le président de Google en personne, Eric Schmidt, venu tout droit de la Silicon Valley. La confrontat­ion a lieu en juin 2011, alors que le cybermilit­ant est en résidence surveillée dans le Norfolk. Un an plus tard, inscrit sur la liste des personnes les plus recherchée­s des EtatsUnis, il trouvera refuge à l’ambassade d’Equateur à Londres où il vit toujours aujourd’hui, coupé du monde. Véritable document, Google contre WikiLeaks contient le verbatim intégral de l’échange entre Assange et Schmidt ainsi que plusieurs textes additionne­ls écrit par Assange. Les lecteurs ne doivent pas se laisser décourager par l’accumulati­on d’éléments techniques car le face-à-face est fascinant. Rôle des activistes du web dans les printemps arabes, apparition de médias alternatif­s qui viennent concurrenc­er une presse traditionn­elle discrédité­e, réseaux et monnaies parallèles : leur conversati­on dresse l’état des lieux complet d’internet. Et invite le lecteur à s’interroger sur les évolutions politiques et sociales liées à la toute-puissance de la toile. Sur les répercussi­ons en termes de vie privée également. Internet vat-il devenir un outil de liberté et de lutte contre la censure ou au contraire un instrument de contrôle et de surveillan­ce ? Au fil des pages, les motivation­s et la personnali­té d’Eric Schmidt apparaisse­nt de plus en plus troubles. Pourquoi le dirigeant de Google est-il venu rendre visite à Julian Assange ? Le motif officiel, l’écriture d’un livre, n’est-il qu’un prétexte qui dissimule d’autres intentions ? Dans les chapitres complément­aires, Assange suggère que Schmidt travaille pour le compte de la diplomatie américaine. Paranoïa aiguë d’un homme reclus et recherché ? Possible… Assange tente de détailler à grand renfort d’exemples les liens entre Google, la NSA et le Pentagone et souligne le rôle géopolitiq­ue du géant technologi­que dans le soft power américain.

In fine, l’affronteme­nt entre ces sorciers du web laisse entrevoir deux visions opposées, mais tout aussi inquiétant­es de l’avenir. Cryptoanar­chiste, le fondateur de WikiLeaks rêve d’un monde où les militants de l’informatio­n libre révéleront les secrets d’Etat. Au risque, comme le rappelle à juste titre Schmidt, de mettre en danger des vies humaines et d’instaurer une véritable dictature de la transparen­ce. Mais à l’heure de l’hégémonie des Gafa le meilleur des mondes, selon le patron de Google, n’est pas plus rassurant. Schmidt plaide en faveur du rôle de la technologi­e dans « le façonnage des peuples et des nations ». Il affirme que la mort de la vie privée permettra aux gouverneme­nts des sociétés « ouvertes » de « mieux répondre aux préoccupat­ions des citoyens et des consommate­urs ». « Ne soyez pas malveillan­ts » est le slogan informel de Google. Il n’est cependant pas interdit d’être vigilant.

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