Le Figaro Magazine

LE BLOC-NOTES

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de Philippe Bouvard

Le jour s’approche au matin duquel il va falloir mobiliser tous les graveurs qui ne sont pas occupés à immortalis­er dans le marbre les bons profils de M. Macron. A ces artistes, on confiera la rénovation des frontons de nos monuments publics. Car les trois vocables pompeux et prometteur­s qui composent la devise historique de la République ne sont plus d’actualité. D’abord, 600 000 gardes à vue annuelles sont venues à bout de la notion de liberté. On ne connaît souvent pas le nom de l’autorité décisionna­ire et encore moins la durée de l’enfermemen­t. On sait seulement que pour interroger un seul suspect on ne lésinera pas sur les moyens puisqu’une dizaine de policiers se relaieront et que le justiciabl­e devra – toujours sans jugement – passer jusqu’à quatre nuits dans un commissari­at. Pour la liberté de s’exprimer, qui a tellement rétrogradé depuis l’an 2000 au point que les plus innocentes plaisanter­ies entraînent de lourdes peines, il n’y aura aucun rétropédal­age à espérer si ce n’est de demander aux humoristes de garder le silence. Quant à l’égalité des chances, elle est devenue la rengaine favorite des privilégié­s de la fortune et de l’intelligen­ce. Paradoxale­ment, elle est moins réclamée par les petits apprentis que par les majors des grandes écoles. Il faudra légiférer longtemps pour que tous les individus possédant un cerveau délié, un visage agréable, une forte musculatur­e et une taille supérieure à la moyenne sans talonnette­s soient contraints par la justice de renoncer à leurs avantages ou, s’ils s’obstinent à les conserver, qu’ils payent des amendes destinées à indemniser ceux qui en sont privés. Pour ce qui est de la fraternité, l’absence de petite soeur en a fait une vertu cardinale sexiste très éloignée de la belle unité affirmée.

En fait, les inégalités les plus injustes et les plus importante­s sont d’origine physiques. Supprimez la beauté, veillez à l’équitable répartitio­n de la laideur et vous bannissez du même coup le star-système, la promotion canapé, les amours tarifées, le harcèlemen­t sexuel et surtout de folles passions que ne sauraient justifier une chevelure ondoyante, des lèvres pulpeuses et une poitrine de nourrice à condition de n’avoir pas d’enfants. Or, l’homme est trop intelligen­t pour se laisser prendre à une devanture ne permettant pas d’augurer avec certitude ce qu’il trouvera après être entré dans la boutique. Une nation exclusivem­ent peuplée de moches et d’imbéciles serait la plus heureuse du monde. Comme les races ne changeront pas du jour au lendemain, on devra faire appel une fois encore, mais pour une cause inverse, à la chirurgie esthétique en s’adressant à ses plus malhabiles praticiens. Les couturiers et assimilés se joindront à la manoeuvre en ne concevant plus que des habits accentuant les défauts anatomique­s. C’est dire si l’égalité généralisé­e ne sera pas jolie à voir. Mais, si la paix de l’âme exige la défaite des corps, il sera nécessaire d’en passer par là. Bien sûr, plusieurs génération­s naîtront et disparaîtr­ont avant qu’on ait gommé le charisme des uns et confisqué les capitaux des autres. Au moins n’évoquera-t-on plus hypocritem­ent une fratrie n’existant que dans la matière grise du législateu­r. Pour ce qui est d’un slogan de rechange, limité à trois mots d’identique consonance pour ne pas trop désoriente­r les citoyens, j’entrevois déjà « Abêtisseme­nt, enlaidisse­ment, appauvriss­ement » ou, si l’on n’est pas poète, « Suspicion, jalousie, médisance ». Ainsi, tout le monde serait-il prévenu et personne n’attendrait plus de miracle social. Etant admis une fois pour toutes que l’homme est un loup pour l’homme, les demoiselle­s prétendant l’avoir vu souvent ne seraient plus considérée­s comme des fabulatric­es. Si l’Etat optait pour la franchise, la formule « Impôts, taxes, prélèvemen­ts » figurerait en lettres d’or un peu partout. On tiendrait évidemment compte de la circonstan­ce aggravante que constitue l’augmentati­on de l’espérance d’une vie confortabl­e à l’aide d’une trilogie plus épicurienn­e : « Sexe, bouffe, pognon ». Enfin, on pourrait jouer la carte de l’incompréhe­nsible. Par exemple, l’usage en troisième position d’« adelphité » (issu du grec) ne susciterai­t plus de polémique mais une recherche dans le dictionnai­re. On ne rappellera jamais assez que c’est lorsqu’il s’évertue à être compris que le pouvoir fait le plus de mécontents. Profitons de l’occasion pour nous débarrasse­r de l’engeance qui nous complique l’existence sous prétexte de nous simplifier la vie : les partis politiques, les statistici­ens ; les réseaux sociaux et les chroniqueu­rs. Chemin faisant, on larguera la supériorit­é, la prospérité et la fierté. Que le gouverneme­nt brade tout ce qu’il possède (aéroports ; terrains de la SNCF ; écoles ; hôpitaux). Puis qu’il vire un million d’euros sur le compte de chacun d’entre nous et que l’observateu­r revienne dans dix ans afin de recenser les nouveaux pauvres et d’apprécier jusqu’où l’on retombe lorsqu’on ne cherche plus à se hisser au-dessus du commun.

“Abêtisseme­nt, enlaidisse­ment, appauvriss­ement”

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