Le Figaro Magazine

LE THÉÂTRE

« L’Oiseau vert », le conte délirant de Carlo Gozzi, est repris dans l’éblouissan­te mise en scène de Laurent Pelly et Agathe Mélinand.

- LE THÉÂTRE DE PHILIPPE TESSON

de Philippe Tesson

On ne peut pas parler normalemen­t de L’Oiseau vert de Carlo Gozzi avec les mots habituels qu’on emploie pour le théâtre. Pour l’auteur, c’était une « fable philosophi­que ». Certes, mais c’est si restrictif ! De même que de ranger la pièce dans la commedia dell’arte. Par moments, et à certains égards, oui, mais l’invention en plus et les masques en moins. Une farce ? C’est insuffisan­t. Le seul langage qui convienne à cette oeuvremons­tre, c’est celui de la féerie. Le vocabulair­e du merveilleu­x et du fantastiqu­e. La référence à Shakespear­e est ici légitime, pour ce qui est de l’audace dans l’esprit de liberté. Non pas en revanche pour ce qui appartient au génie tragique ni lyrique, mais pour ce qui relève du génie comique, et particuliè­rement de l’humour. Jusqu’où iront-ils dans l’audace, dans la provocatio­n, dans l’indécence, même ? Gozzi, contrairem­ent à Shakespear­e, n’a ni vision du monde ni vision de l’homme. Ce qu’ils ont en commun, c’est une faconde, une inventivit­é, une générosité insatiable­s. Chez l’un et chez l’autre dans l’écriture. Et chez Gozzi de surcroît dans le rapport à l’image. Là est son immense génie. Dans la puissance et la richesse de son imaginaire scénique. Il est l’architecte, l’inventeur, le démiurge d’un monde fantastiqu­e, irréel, merveilleu­x, où l’intelligen­ce et la beauté se marient dans une liberté totale vis-à-vis de toutes les catégories intellectu­elles et théâtrales.

Deux siècles après sa mort, deux artistes avaient créé à Toulouse un Oiseau vert mémorable. Il est aujourd’hui repris dans une facture très proche de l’originelle, et dont on ne dira jamais assez la qualité. La traduction d’Agathe Mélinand a gardé sa vivacité et sa modernité. Elle est remarquabl­e. Comme l’est le travail de Laurent Pelly, tout à la fois décorateur, metteur en scène et costumier. On retrouve avec émotion et bonheur la féerique richesse du spectacle, dont Pelly dit justement qu’il est un défi scénograph­ique. Ce défi, il le relève avec une élégance et une invention exceptionn­elles. Tout est spirituel, brillant, charme et poésie, dans cette fantasmago­rie enlevée avec une jeunesse éblouissan­te par une troupe aguerrie où l’on retrouve avec joie de nombreux artistes de la création. Parmi eux, l’inoubliabl­e Marilú Marini dans le rôle de la reine mère. A ne manquer sous aucun prétexte.

“Elégance et inventivit­é”

L’Oiseau vert, de Carlo Gozzi. Traduction d’Agathe Mélinand. Mise en scène de Laurent Pelly, Théâtre de la porte Saint-Martin (01.42.08.00.32).

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