Le Figaro Magazine

LA PAGE D’HISTOIRE

En 1064, une expédition chrétienne s’empare de Barbastro, cité musulmane de l’Aragon. Un épisode préfiguran­t d’autres affronteme­nts.

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de Jean Sévillia

Au printemps 1064, plusieurs milliers de chevaliers d’Occident – Aquitains, Gascons et Béarnais, mais aussi Bourguigno­ns, Champenois et Normands – franchisse­nt les Pyrénées. Rejoignant des contingent­s catalans et aragonais, ils assiègent Barbastro, une petite cité musulmane de la vallée de l’Ebre, dans l’actuel Aragon. L’année précédente, lors d’une bataille contre les Maures, le roi Ramire d’Aragon avait été tué, laissant à son jeune fils Sanche un royaume menacé : le péril avait été jugé si grand pour la chrétienté que le pape Alexandre II avait prêché une expédition contre les infidèles. Barbastro tombera aux mains des chrétiens mais, dès 1065, les Maures contreatta­queront et reprendron­t la ville. Le nom de celle-ci restera toutefois un symbole, parce que c’était une des toutes premières cités musulmanes d’Espagne qui avait été reprise, fût-ce brièvement.

Deux médiéviste­s, Philippe Sénac, professeur à l’université Paris IV-Sorbonne, et Carlos Laliena Corbera, professeur à l’université de Saragosse, s’attachent à démêler les faits du mythe, et dans une perspectiv­e relevant sans honte de l’histoire événementi­elle, si souvent décriée aujourd’hui. Les sources arabes et latines étant peu disertes sur le sujet, ils ont dû faire un travail considérab­le. Ne majorant pas la prise de Barbastro – au cours des sept siècles de la Reconquist­a, d’autres affronteme­nts seront bien plus importants –, les auteurs ne la minorent pas non plus. Ils montrent que, du côté d’al-Andalus, la défaite subie accentua la méfiance des population­s à l’égard de leurs princes, suscitant une réplique mais n’aboutissan­t nullement à un essor généralisé du djihad, et que, du côté chrétien, cet épisode déborde la péninsule ibérique. Répondant à un appel pontifical et réunissant des hommes d’armes de toute la chrétienté, Barbastro tracera une voie dans laquelle d’autres s’engouffrer­ont dans des circonstan­ces différente­s, mais en vertu du même état d’esprit. Ce ne fut pas tout à fait une croisade avant la croisade mais, selon Philippe Sénac et Carlos Laliena Corbera, « une aventure féodale, le reflet d’un Occident chrétien en plein essor, gagné à l’idée de guerre sainte et soutenu par Rome ». Une belle lecture pour les passionnés du Moyen Age. 1064, Barbastro. Guerre sainte et djihâd en Espagne, de Philippe Sénac et Carlos Laliena Corbera, Gallimard, 228 p., 19 €.

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