Le Figaro Magazine

“Ce jour-là, le tragique XXe siècle se terminait enfin”

- Par Nicolas Sarkozy

Pour ma génération, née après la Seconde Guerre mondiale, le rideau de fer, qui s’était refermé sur l’Europe de l’Est et dont le mur de Berlin représenta­it le symbole le plus visible et peut-être le plus révoltant, constituai­t une réalité intangible. Ce nouvel ordre mondial semblait devoir opposer pour toujours deux blocs hostiles. D’un côté, le monde libre, et, de l’autre, le monde collectivi­ste. A l’exception de quelques esprits visionnair­es comme mon amie Hélène Carrère d’Encausse, personne n’imaginait qu’un jour le rideau de fer se lève et que le mur de Berlin s’effondre. Le Rivage des Syrtes, chef-d’oeuvre de Julien Gracq, évoque d’ailleurs à merveille cette confrontat­ion entre deux mondes opposés pour l’éternité dans un faceà-face désespéran­t. Les étudiants français, qui font aujourd’hui leur Erasmus à Berlin, à Prague ou à Budapest, ont du mal à imaginer qu’il y a moins de trente ans, ils n’auraient jamais pu passer les frontières. Ce « monde d’hier » leur paraît aussi lointain qu’absurde et pourtant ce mur a obstrué l’horizon de millions d’Européens pendant près d’un demi-siècle. Ma propre vie aura été directemen­t déterminée par cette cicatrice de l’Histoire puisque mon père a fui la Hongrie communiste en 1948, laissant le rideau de fer retomber derrière lui. Je me suis souvent demandé ce qu’aurait pu être ma destinée si mon père n’avait pas pris cette décision ni si la Hongrie n’était pas restée du mauvais côté de Yalta… Il aura fallu le génie visionnair­e du pape Jean-Paul II, la déterminat­ion de l’Eglise catholique, le courage d’opposants comme Soljenitsy­ne ou Sakharov, la volonté d’un ouvrier polonais alors inconnu, Lech Walesa, mais aussi l’épuisement de l’économie soviétique dans la course aux armements face aux Etats-Unis de Ronald Reagan ainsi que le réalisme d’un Mikhaïl Gorbatchev pour que le rideau de fer finisse par se fissurer avant de s’écrouler sous les yeux de l’Europe de l’Ouest sidérée, le 9 novembre 1989, avec la chute du mur de Berlin.

Ce jour-là, l’Europe n’était plus seulement une notion de géographie mais redevenait une réalité politique, et le tragique XXe siècle, celui qui avait si dramatique­ment commencé le 28 juin 1914 à Sarajevo, se terminait enfin, avec onze ans d’avance sur le calendrier, par la fin de la guerre froide et de la division de l’Europe. Ce n’était certes pas la fin de l’Histoire, comme certains optimistes voulaient le croire, mais la fin d’un chapitre particuliè­rement douloureux de l’histoire de notre continent. Un nouveau chapitre commençait, que nous sommes encore en train d’écrire aujourd’hui.

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Photo : Patrick Piel / Gamma

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