POLÉMIQUE
Anne Hidalgo prépare une nouvelle surprise pour les Parisiens : avec l’accord de Rachida Dati, maire du VIIe, les voies piétonnes de la rive gauche vont être repeintes de toutes les couleurs.
On connaissait les graffitis pas toujours inspirés ornant les murs gris aux abords des échangeurs d’autoroutes, des gares ou des cités. Désormais, le street art s’invite à l’Elysée, à travers une oeuvre de Shepard Fairey, et dans le cossu VIIe arrondissement de Paris, entre le musée d’Orsay et le pont Alexandre-III. Les arpenteurs des berges de la rive gauche peuvent piétiner depuis lundi une ondoyante fresque peinte en 18 couleurs le long de la Seine, sur 2 kilomètres. Ainsi en a décidé Anne Hidalgo.
La maire de Paris a confié cette réalisation à un artiste polono-allemand, 1010, dont le nom lui a été suggéré par son galeriste Mehdi Ben Cheikh, artisan de la métamorphose en couleurs du XIIIe arrondissement. Le surgissement d’une oeuvre aussi imposante en face du jardin des Tuileries, de la place de la Concorde, du Grand Palais et à l’orée des Invalides, devrait faire enrager les défenseurs de ce fastueux héritage architectural.
Prévue à l’origine pour courir le long des berges de la rive droite, l’oeuvre a essuyé un premier rejet de la part de l’Architecte des bâtiments de France. « Mais ici, rive gauche, on est davantage chez nous, confie-t-on dans l’équipe de l’Hôtel de Ville. Cette voie restera piétonne quoi qu’il arrive, et ces couleurs vont réduire l’îlot de chaleur que forme le macadam gris les jours de canicule. » Opportunément financée par Climespace, la fresque, qui représente une immense vague avec des effets d’abîme sous les trois ponts qui l’enjambent, ne coûtera rien au contribuable. « C’est toujours la même rengaine, les mêmes arguments, s’indigne Alexandre Gady, président de Sites & monuments. A chaque fois, l’opération est gratuite et on la dit éphémère, pour contourner les restrictions qui visent à protéger ces zones, par ailleurs déjà saturées d’art. Rappelons-nous que l’éphémère roue, place de la Concorde, est restée douze ans. » Le périmètre est sauvegardé par la loi des abords, qui entoure les monuments historiques comme la gare d’Orsay, classée depuis 1978, ou le pont Alexandre-III. De plus, les berges de la Seine sont classées au titre du patrimoine mondial de l’Unesco.
UN PALIMPSESTE SUR LE MACADAM
L’oeuvre est programmée pour durer trois mois, le temps d’un été. Mais, à y regarder de plus près, on comprend que deux ou trois couches de cette peinture acrylique envoyée par jets sous pression pourraient l’éterniser. « Les citoyens doivent s’approprier cet espace, s’enhardit un conseiller de la maire. Ce serait formidable d’organiser un appel à projets et un vote pour choisir chaque année la nouvelle création qui recouvrira la précédente. » Un prometteur palimpseste de street art vient ainsi de naître sur cette rive. Occupé à recouvrir le macadam avec son pistolet, l’artiste, âgé de 39 ans, avoue ne pas avoir souhaité dialoguer avec les monuments alentour, « pour rester concentré sur la Seine et son mouvement ». C’est vrai, après tout, mieux vaut être décomplexé.