LA BIÈRE EN FOLIE
De l’eau, du malt, du houblon et de la levure. A partir de ces quatre ingrédients de base, les maîtres brasseurs font preuve d’une imagination débordante. Les possibilités et les expérimentations semblent inépuisables. Et le marché de la bière ne cesse de progresser…
En 2017, les ventes en grandes et moyennes surfaces ont augmenté de 3,3 %, représentant ainsi près de 3,4 milliards d’euros de chiffre d’affaires. Et 2018 a plutôt bien démarré : + 3,6 % à la mi-février. De plus, le nombre de brasseries artisanales (ou microbrasseries) continue d’exploser. En France et dans le monde. « Les chiffres annoncés par les grandes brasseries industrielles Kronenbourg et
Heineken reflètent la bonne santé de la catégorie bière », confirme Franck Poncelet, organisateur avec Philippe Jugé du salon Planète Bière, dont la quatrième édition s’est tenue à Paris en
mars dernier. « Ces dernières années, le marché a fortement progressé. Fin 2017, environ 1 280 brasseries étaient en activité en France. C’est énorme. » Et le phénomène ne fait que s’accentuer, comme on peut le constater sur Projet Amertume, le site internet du biérologue Emmanuel Gillard : la carte de France est tapissée de brasseries, artisanales pour la plupart. Il s’en est encore créé 75 entre janvier et mai 2018. En 2014, les 30 brasseries institutionnelles incluses, l’Hexagone comptait 550 brasseries. En 2015, elles étaient 700. En mai 2018, leur nombre frôlait les 1 300 ! « La plupart des brasseries investissent considérablement pour augmenter leur capacité de production », enchaîne Franck Poncelet. La Brasserie du Mont-Blanc en Savoie
ou encore Mélusine en Vendée. « Nous avons investi au total près de 3 millions d’euros pour arriver à une capacité supérieure à 30 000 hectolitres, annonce Laurent Boiteau, de Mélusine. On avait déjà investi 1,2 million en 2016, mais notre croissance est de l’ordre de 25 à 30 % par an depuis cinq années… Ce qui nous fait passer d’environ 3 000 hectolitres à plus de 10 000 dans cette période. Cette année, la croissance dépasse 30 %, d’où un besoin important en investissement. »
Mais qui boit toutes ces bières ? « De nouveaux consommateurs qui disaient ne pas aimer la bière à cause des goûts standard sont aujourd’hui attirés par la diversité et une palette aromatique immense. Comme pour le vin, les cocktails et les spiritueux, l’amateur peut désormais poser des mots sur les bières : couleurs, arômes, provenance… Il apprécie les différences de goûts et de styles, veut de la nouveauté en permanence, des surprises. Il tient à savoir qui fabrique cette bière et comment.
Les points de vente se sont spécialisés. En 2017, 400 cavistes en France réalisaient au moins 80 % de leur chiffre d’affaires avec une offre de bières, certains 100 %. Ainsi, à Paris : Brewberry, Moustache blanche, La Cave à Bulles, la chaîne Bières cultes. En province : La Capsule à Nancy, La Minute blonde à Niort, des réseaux comme La Cervoiserie ou Orge & Houblon… » Le marché en pleine expansion suscite des vocations. A l’instar de Florian Abadie, qui a démarré l’activité de sa société Brasseurs unis l’an dernier. Il a déjà conquis plus de 220 cavistes en France avec une soixantaine de bières artisanales. « Des bars se créent également autour de la bière : Ninkasi à Lyon, la chaîne Les 3 Brasseurs dans plusieurs villes de France… La Fine Mousse, à Paris, sert des bières artisanales pour la plupart, à la pression ou en bouteille et propose des accords mets et bières dans son espace restaurant. » Le réseau FrogBeer avec ses pubs au sein desquels s’installent des microbrasseries (Paris, Toulouse, Bordeaux), vient de lancer une nouvelle gamme de bières à partir de poivre et de piment. Franck Poncelet (Planète Bière) décrypte le marché actuel. IPA est la grande tendance du moment. Tant et si bien que le style IPA est entré dans le langage courant, au même titre que « mojito » ou « spritz ». C’est d’ailleurs le style qui a été le plus représenté sur la manifestation Planète Bière. Quasiment toutes les brasseries produisent une
Innovations et nouvelles saveurs : des bières vieillies en fûts ayant contenu sauternes, cognac, whisky, calvados…
IPA. Leffe, brasserie statutaire pourtant, lançait la sienne il y a trois ans, la Leffe Royale Cascade IPA (Cascade est une variété de houblon très populaire chez les maîtres brasseurs américains).
Les grandes brasseries traditionnelles ne cessent d’innover. Cette innovation fait partie des fondamentaux de Kronenbourg SAS depuis 354 ans. L’entreprise lance actuellement trois nouveaux produits sur les segments les plus dynamiques du marché : sans alcool (+ 10,6 %), aromatisé (+ 11,2 %) et dégustation (+ 11,9 %). Ainsi, Tourtel Twist au citron vert et notes de menthe façon mojito sans alcool ; Skoll Caipïroska aux arômes de vodka et citron vert ; Grimbergen Héritage de l’Abbaye, une bière de dégustation qui reprend le gruyt (mélange de plantes aromatiques à base de sauge, d’armoise, d’angélique officinale, de chardon béni, etc.), autrefois utilisé par les brasseurs pour donner plus de goût à la cervoise. « En 2017, les ventes de Kronenbourg SAS ont enregistré une croissance en volume de 1,7 % pour atteindre un chiffre d’affaires de 936 millions d’euros, explique le PDG João Abecasis. En grandes et moyennes surfaces, les ventes ont progressé de 3,6 %. Les Français sont de plus en plus nombreux à aimer la bière (80 % en ont consommé en 2017). » Le groupe renforce par ailleurs ses partenariats de distribution avec des brasseries régionales indépendantes françaises (Pietra en Corse, Brasserie du Pays basque) et étrangères (l’américaine Brooklyn, l’irlandaise Guinness). Kronenbourg investit 23 millions d’euros dans sa brasserie d’Obernai et s’engage dans une stratégie de développement durable en synergie avec celle du Groupe Carlsberg « Ensemble vers un impact zéro ». Dans le giron du groupe néerlandais Heineken, la bière belge d’abbaye Affligem continue d’honorer le savoirfaire acquis depuis près de mille ans. Notamment grâce à la Formula antiqua renovata basée sur des
principes édictés en 1950 par les moines de l’abbaye. Ce qui n’empêche guère la bière d’innover chaque année avec, depuis avril 2018, Affligem Coeur Châtaignes qui, comme son nom l’indique, se distingue par ses saveurs de châtaigne.
Quant à la blonde Heineken proprement dite, elle évolue vers trois nouvelles saveurs au sein d’une gamme baptisée Wild Lager, sans changer les ingrédients qui constituent sa base (eau, malt, houblon, levure) depuis 140 ans. Les maîtres brasseurs ont effectué de nombreux essais dans le temps pour réussir à maîtriser des levures découvertes à l’état sauvage dans différentes régions du monde, afin de créer ses nouvelles bières. Elles portent le nom de la région et de la latitude d’où les levures proviennent : Patagonie/ H71, Blue Ridge Mountains/H35 et Himalaya/H32 (pas encore disponible en circuits traditionnels). Société cotée en Bourse, Anheuser-Bush InBev détient un portefeuille de plus de 500 marques de bières au nombre desquelles la célèbre bière d’abbaye Leffe. L’an dernier, cette dernière présentait Caractère by Leffe. Pour la brasser, les maîtres brasseurs avaient plongé des copeaux de bois de chêne dans du whisky écossais et les avaient fait sécher avant de les déposer dans une cuve de bière blonde pour maturation. En 2018, Leffe Ambrée combine rafraîchissement d’une bière blonde et complexité d’une bière brune. Leffe d’Eté, édition limitée à la période estivale, s’annonce comme la plus rafraîchissante des bières Leffe, sa saveur oscillant entre douceur et amertume. Duyck, petite brasserie industrielle, familiale et indépendante située dans le Nord (50 ans cette année), continue à se réinventer et lance une nouvelle gamme de trois bières Jenlain de dégustation : Brown Ale, IPA et Grand Cru.■
Pour Caractère by Leffe, des copeaux de chêne plongés dans du whisky écossais et déposés dans la cuve de maturation