LES RENDEZ-VOUS
de J-R Van der Plaetsen
Longtemps, Bruno de Stabenrath s’est couché à l’aube. La nuit passait si vite, il essayait de la retenir comme les héros auxquels il s’identifiait – ces héros qui avaient pour nom Elvis Presley, James Dean, Brian Jones, Jim Morrison, mais aussi Porfirio Rubirosa, Roger Nimier, Jean de Breteuil, Jean-René Huguenin ou Yukio Mishima. C’était l’époque du Caca’s Club, avec Edouard Baer et Frédéric Beigbeder, au cours des années 1980. Puis il y eut ce terrible accident de voiture en 1996, dont il réchappa mais qui le laissa tétraplégique, et qui lui fit alors considérer la vie d’une nouvelle manière, presque objective, avec une forme de lucidité sans cynisme. Pour autant, Stabenrath n’a pas renoncé à ses anciennes légendes, dorées, déglinguées ou déchues, mais toujours magnifiques à ses yeux. « Depuis ces années-là, dit-il, j’ai gardé une tendresse particulière pour les gens qui ne dorment pas la nuit. » Dans Un ticket pour l’éternité, il dresse une typologie de ces étoiles filantes qui sont aussi des blocs de souffrance. Stars du rock ou d’Hollywood, écrivains maudits ou mondains déjantés, les héros de Stabenrath finissent mal en général. Ils meurent d’overdose, d’alcoolisme ou d’épuisement, dans les lieux les plus divers et improbables, ayant traversé l’existence à tombeau ouvert, raison pour laquelle nombre d’entre eux se fracassent au volant d’un bolide, achevant leur folle trajectoire dans un linceul de tôles froissées. Avec la mort d’Elvis, les plus belles pages de ce livre sont d’ailleurs consacrées à la fin tragique de Vincent et Gauthier Malraux, disparus dans un accident de voiture alors qu’ils s’apprêtaient à retrouver leur père. « Le mystère du charisme,
j’ai pu l’observer à maintes reprises, dit Stabenrath. C’est très étrange : les vraies stars dansent sur un fil parce
qu’elles se croient immortelles. » En fait, et elles le savent très bien, elles le deviennent en mourant.