MARION MARÉCHAL : “JE VEUX FAIRE DE LA POLITIQUE AUTREMENT” Entretien
On parle beaucoup d’elle mais sa parole est rare. Quelques jours avant l’inauguration à Lyon de l’école supérieure privée dont elle est la directrice – l’Issep –, l’ancienne députée s’est confiée longuement au « Figaro Magazine » sur son état d’esprit, ses projets, le monde universitaire, intellectuel… et politique.
Comment interprétez-vous les réactions et la tempête médiatique provoquée par le lancement de l’Issep ? Il est difficile de trouver en France des écoles supérieures qui proposent une offre pédagogique alternative, distincte de celle qui repose sur le conformisme intellectuel ambiant. L’agacement fébrile de certains à l’encontre de cette initiative et l’excitation générale prouvent que nous avons visé juste en bousculant le statu quo dans ce milieu uniformisé. En quoi consiste cette uniformisation que vous dénoncez ? Un exemple tout simple et récent : le directeur de Sciences Po Lyon nous attaque en affirmant que nous serions une école « militante » alors que lui-même fut engagé du côté de l’extrême gauche ! Personne ne s’offusque de ce type d’engagement parce qu’il va de soi, en France, que lorsqu’on exerce la direction d’un lieu d’enseignement, on est de gauche. En revanche, si une personne de droite porte un projet éducatif, le reproche de « politisation », de « partialité » pour ne pas dire d’incompétence fuse immédiatement. Il est interdit de toucher à leur chasse gardée. Cet entre-soi naturel, « humain », se double d’un autre phénomène, plus idéologique, plus structurel : dans les business schools, la valeur des diplômes est tributaire du rang de l’école qui les délivre dans les classements internationaux. Or, les critères de ces classements poussent à l’uniformisation des contenus car on sera d’autant mieux noté qu’on délivre une vision du monde qui fait de la globalisation heureuse, de la fin des frontières, de la flexibilité et de l’adaptabilité du salarié des valeurs essentielles. Tout concourt à fabriquer des élites standardisées au profil de gestionnaires et de technocrates pur jus acquis au système libéral nomade, mondialisé et déraciné. L’Issep enseignera donc le contraire ?
Non, car il ne s’agit pas d’opposer un système idéologique à un autre. Mais nous nous inscrivons à rebours d’une vision purement utilitariste de l’éducation qui consiste à créer des compétences immédiatement exploitables sur le marché du travail. On y parle de « bagage culturel », et c’est tout dire : chez ces gens-là, la culture relève de l’avoir et non de l’être. Et, fidèle à l’esprit de Mai 68, on considère toute transmission, tout héritage, notamment culturel, comme suspect. Je pense au contraire que le meilleur moyen de former de futurs dirigeants, politiques ou économiques, est de les rendre aptes au discernement et à
Le combat culturel a été gagné par la gauche depuis 70 ans via les médias, l’école, l’université. Elle a bâti une prison intellectuelle où les jeunes Français sont pris en otage.
Nous partons à l’assaut de cette prison
l’esprit critique grâce aux disciplines culturelles – la philosophie, la littérature, l’histoire, la rhétorique, voire le théâtre – plutôt qu’en leur faisant avaler un gloubi-boulga managérial. La culture générale, c’est l’art du commandement, disait de Gaulle.
Déniez-vous toute dimension idéologique à votre démarche ?
Notre seule idéologie est de refuser tout sectarisme et de faire toute sa place au pluralisme intellectuel. Enseigner Adam Smith n’empêche pas d’enseigner saint Thomas d’Aquin ! Nous ferons cohabiter dans nos cursus les courants de pensée, les doctrines économiques et les auteurs dominants avec d’autres richesses intellectuelles oubliées. Nous serons une bouffée d’air intellectuelle.
Y a-t-il chez vous l’idée sous-jacente selon laquelle la droite aurait laissé le champ libre culturel et pédagogique à la gauche ?
Il y a un siècle, la droite nationale et sociale née avec Maurras s’est enfermée dans une forme d’intellectualisme, certes de grande qualité, mais peu accessible et sans efficacité politique réelle. A l’inverse, aujourd’hui, la droite devenue ultralibérale par anticommunisme, ne jure que par l’économisme et a fait du businessman riche, flexible et mobile l’exemple type du modèle à suivre.
A la droite il manque donc cette reconstruction intellectuelle qui, sans tomber dans un intellectualisme stérile, permet de réfléchir et d’agir sur le monde en s’appuyant sur un corpus intellectuel et moral de qualité. L’objectif est de former une génération de jeunes gens connectés au monde qui les entoure, qui parlent anglais, qui comprennent les enjeux économiques ou géopolitiques mondiaux mais qui se montrent en même temps attachés au cadre national et décidés à tenir compte de celui-ci dans leur activité. Cela pour les empêcher de devenir ces « émigrés spirituels » qui, en sortant des grandes écoles, ont déjà quitté la France : dans leur tête ou dans leur portefeuille, sinon physiquement.
Vous citez souvent le penseur italien communiste Antonio Gramsci, pour qui il fallait gagner la bataille culturelle. Dans son idée, c’était pour préparer la victoire politique…
Ma démarche est par définition politique. Vouloir former une élite pour qu’elle se mette ensuite au service de la cité, c’est par définition politique. Le combat culturel a été gagné par la gauche depuis 70 ans via les médias, l’école, l’université, l’édition. Elle a bâti une prison intellectuelle où les jeunes Français sont pris en otage. Nous partons à l’assaut de cette prison.
Comment vous-même avez-vous échappé à l’uniformisation que vous dénoncez ?
Contrairement à ce qui a souvent été dit, j’ai fait presque toute ma scolarité dans le public. Je n’ai passé que quatre ans en école privée. Je suis donc la preuve qu’on peut échapper à l’uniformisation tout en passant par l’école publique ! Evidemment, j’ai disposé d’un cadre familial qui m’a donné un contenu culturel et intellectuel représentant un atout considérable. Ma conscience politique est née par l’étude de l’histoire, via l’oeuvre de Jacques Bainville en particulier. Ensuite par la lecture. Avec des auteurs assez variés. De Bernanos à Constant en passant par Michéa. Aujourd’hui, je suis avec attention les travaux d’auteurs comme Bérénice Levet, Pierre Manent, Marcel Gauchet ou Laetitia Strauch-Bonnart.
Ces gens pourront-ils faire des conférences dans votre établissement ?
Potentiellement, oui. On a en France un grand vivier d’intellectuels conservateurs mais, une fois de plus, tous les intellectuels, journalistes, chefs d’entreprise ou universitaires qui auront des choses intelligentes à dire seront les bienvenus dans notre cycle de conférences, quel que soit le bulletin qu’ils glissent dans l’urne.
Au sujet du conservatisme, envisagezvous de trouver la réponse à la question qui taraude la droite : comment articuler libéralisme et conservatisme ? Faut-il choisir entre l’un et l’autre ?
Tout dépend ce que l’on comprend par libéralisme et conservatisme. Ces termes sont piégeux car leur lecture est vaste. La vraie question qu’il faut se poser est plutôt : que conserve-t-on ? Et au service de quoi met-on la liberté ? La liberté de l’individu ne peut pas déboucher sur une guerre permanente des « droits » et la tyrannie des minorités. Par ailleurs, l’émancipation de l’individu pensée par les Lumières, autrement dit la capacité à transcender sa condition sociale ou familiale, est devenue une sorte d’intégrisme de rupture. L’individu ne serait vraiment libre qu’en se coupant de ses racines. En réalité, ici est née la véritable aliénation : l’individu seul face au contrôle de l’Etat, seul face aux excès de la société de consommation, seul face à la difficulté économique ou sociale car l’Etat ne remplacera jamais les solidarités naturelles. Repensons donc la liberté à l’aune de ce qu’il est souhaitable de conserver : les valeurs de la famille, de la nation, de l’autonomie, du travail, et le refus des valeurs marchandes et mercantiles comme modèles de société et de vie. Concernant le libéralisme, il implique de s’interroger aussi sur notre
rapport à l’Etat, qui est un outil indispensable de puissance et d’indépendance, un garant de protection des citoyens, et qui a été central dans la constitution et l’histoire de l’identité française. Mais, si les Français aspirent toujours à un Etat fort sur ses fonctions régaliennes et rassembleur, ils ne souhaitent pas la persistance d’un Etat nounou, infantilisant et déresponsabilisant.
Pourquoi avoir choisi de créer votre école à Lyon et non à Paris ?
Il y a une raison symbolique : la volonté de sortir de l’entre-soi sociologique parisien, à la fois géographique et social. L’idée de cette école, c’est aussi d’ouvrir socialement, de casser ce scandale qui n’offusque qu’à moitié : il n’y a jamais eu aussi peu d’enfants d’ouvriers dans les grandes écoles françaises, car l’ascenseur social a volé en éclats. Pour les attirer, nous allons mettre en place un système de bourses et faire en sorte que le prix des études reste très accessible. Par ailleurs, Lyon est au carrefour de l’Europe et peut être le lieu de la synthèse entre mondialisation et enracinement. Il y a en outre un réseau d’entrepreneurs très vivace. Et c’est intéressant pour nous qui voulons créer des liens avec l’économie enracinée.
Il n’y a aucune raison d’implantation ici par rapport à Laurent Wauquiez ?
Je comprends qu’on se pose la question, mais non.
Vous n’avez aucune nostalgie ou regret de la période où vous étiez élue ? C’est une page tournée ?
Tant mieux si mon initiative fait bouger les lignes en démontrant qu’on peut faire du débat réel entre les droites
Je n’ai pas de regrets ou de remords sur mon mandat. Est-ce que ça me manque ? Pas du tout ! La seule chose un peu frustrante, c’est d’être passée du statut d’actrice de la vie politique à celui de spectatrice. Mais je ne suis pas devenue d’un coup indifférente à l’avenir de mon pays. Quand on constate des choses insupportables, on aimerait être sur le terrain et agir, c’est vrai.
Avez-vous le sentiment d’être plus utile à la société française ou à la cause que vous défendez en créant cette école qu’en étant en politique ?
Je ne sais pas si je suis plus utile, mais c’est complémentaire. Il y a d’autres manières de transmettre ses valeurs, ses principes, une culture, une histoire, que par la voie électorale. C’est une voie que je respecte pour l’avoir vécue, je ne jette pas le bébé avec l’eau du bain. J’y ai vu le pire et le meilleur de l’homme. La question éducative est une voie royale pour continuer ce combat.
C’est complémentaire, mais on traduit que c’est une première pierre pour un retour dans la vie politique…
Je ne pourrai jamais empêcher les spéculations.
Si : en disant « Non, je ne reviendrai jamais ! »
Eh bien, je ne le dis pas plus aujourd’hui que lorsque j’ai annoncé que j’arrêtais la politique. La seule chose que je peux affirmer, c’est que je ne m’inscris pas dans une stratégie à plusieurs bandes dont l’école serait un tremplin personnel.
Vous voyez bien, néanmoins, que beaucoup estiment que vous incarnez la relève pour les droites…
S’il existe cet engouement, cette confiance, cela m’honore : autant que je les mette au service de quelque chose. En politique, on sent que les choses ont du mal à bouger. Avec cette école, j’ai le sentiment d’avancer dans quelque chose d’utile, de faire de la politique autrement. Du politique plutôt que de la politique, si vous voulez. Le paysage à droite est en état de décomposition sans que s’amorce la recomposition. A certains égards, si mon initiative permet de faire bouger les lignes parce que c’est la démonstration qu’on peut faire de l’excellence, du débat réel entre les droites, tant mieux. Peut-être cette recomposition passera-t-elle par la métapolitique avant de passer par la voie électorale.