Le Figaro Magazine

ÉVÉNEMENT Expo photo : James Nachtwey

Il est un monument du photojourn­alisme. Sa rétrospect­ive, la plus importante jamais produite, exposée en ce moment à Paris, parvient à mettre en perspectiv­e l’oeuvre de celui qui a réinventé la manière de couvrir l’actualité.

- Vincent Jolly

Quelle différence entre une bonne image et une grande photograph­ie ? La seconde ne souffre jamais d’être exposée en grand format. Dans l’exposition de James Nachtwey, aucun des 139 clichés accrochés aux murs n’est tiré en petit format. Présentée dans quatre salles réparties sur deux étages du sublime hôtel Hénault du IVe arrondisse­ment de Paris, cette rétrospect­ive du photograph­e américain démontre combien James Nachtwey est l’un des plus grands profession­nels du photojourn­alisme. Sa couverture des événements en Irlande du Nord en 1981, son portrait glaçant d’un survivant du génocide rwandais en 1994, son reportage au coeur de la seconde intifada dans les rues de Ramallah en 2000, ou de la récente crise des migrants, ses images du 11 Septembre, de la famine en Somalie ou de la crise des Balkans entre 1993 et 1999… Il a tout vu, tout fait, tout restitué.

En couleurs ou en noir et blanc, le reporter de 74 ans s’affranchit de tous les styles. Jusqu’à faire mentir la célèbre adresse de Capa aux photograph­es : « Si vos photos ne sont pas assez bonnes, c’est que vous n’êtes pas assez près. » Dans telle ou telle situation périlleuse, certains photojourn­alistes se trouvaient plus près de l’événement que Nachtwey. Mais c’est lui qui se montrait le plus juste,

le plus percutant, le plus fort. « Je me souviens des funéraille­s de Nelson Mandela, raconte Brent Stirton,

photograph­e émérite du National Geographic et collaborat­eur fréquent

du Figaro Magazine. On était tous là, à bouger dans tous les sens. Lui pouvait rester quatre heures au même endroit, à attendre la bonne photo. »

SON RÊVE : QUE SES PHOTOS NE SOIENT JAMAIS OUBLIÉES

Cette patience, Nachtwey la revendique volontiers : « C’est formidable de voir émerger des jeunes photojourn­alistes motivés. Mais vous savez ce qui est encore mieux ? Un photojourn­aliste expériment­é et motivé. »A demi-mot, celui dont l’enquête sur la consommati­on d’opioïdes aux Etats-Unis a fait l’objet d’un numéro entier de Time (une première dans l’histoire du magazine) évoque les changement­s politiques dans les rédactions américaine­s qui veulent promouvoir les auteur.e.s (oups !)

issus de la « diversité ». « Je trouve que c’est formidable que des voix différente­s puissent s’exprimer. Mais parfois, ces politiques peuvent être trop extrêmes. Et on oublie des gens comme moi qui ont dédié leur vie tout entière à ce métier et qui ont toujours envie de documenter des événements. On ne devrait pas être oubliés. Nous sommes à notre tour devenus une minorité ! Et sommes, désormais, parfois ignorés. » Tomber dans l’oubli semble être l’une des plus grandes craintes de James Nachtwey. Mais, plus que son nom et son visage, ce sont ses photos qu’il souhaite immortelle­s. D’où son choix de confier la totalité de ses archives à Dartmouth – l’une des meilleures université­s du pays, membre de l’Ivy League, située dans le New Hampshire, où il a notamment étudié les sciences politiques. « J’ai été très chanceux de faire mes études dans un établissem­ent aussi prestigieu­x, raconte celui dont la carrière a été récompensé­e de deux World Press Photo, et dont le documentai­re War Photograph­er (2001) a été nominé aux Oscars. Mais c’est surtout pour la qualité de leur collection d’art et de photograph­ies que j’ai choisi le Hood Museum de Dartmouth. Mes images seront utilisées à des fins éducatives, mais aussi pour la recherche. » Une démarche que James Nachtwey juge essentiell­e dans la carrière d’un photojourn­aliste. « Beaucoup trop de photograph­es ont produit d’excellents reportages, mais qu’est-ce qu’il advient de leur travail après ? Il faut préserver et utiliser ces photos. Des fondations devraient être créées pour s’en occuper. Sinon, ces images disparaîtr­ont. » Et, avec elles, des fragments entiers de notre histoire. ■ « Memoria », 139 tirages de James Nachtwey, Maison européenne de la photograph­ie, Paris IVe, jusqu’au 29 juillet (Mep-fr.org).

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