LA PAGE HISTOIRE de Jean Sévillia
Yves-Marie Bercé, un historien de l’Europe classique, s’est fait le spécialiste des jacqueries et des phénomènes d’hystérie collective.
Par-delà la cour de Versailles, avec son étiquette solennelle et son décor d’or et de marbre blanc, le Grand Siècle a aussi été marqué par une fréquence exceptionnelle des scènes de violence populaire. Ces révoltes, insurrections et jacqueries, provoquées le plus souvent par des mécontentements dus aux impôts ou aux famines, confèrent au règne de Louis XIV une autre image que celle, aristocratique et raffinée, sur laquelle s’attarde la postérité. Cette dimension, Yves-Marie Bercé s’en est fait le spécialiste dès les années 1970, avec des livres sur les croquants et nu-pieds – ces soulèvements paysans de la France du Sud-Ouest –, livres devenus des classiques. L’historien a pour- suivi dans la même veine avec des travaux sur les révoltes et révolutions, les mythes politiques et les croyances populaires, les fêtes et les procès dans l’Europe moderne, faisant de lui un des meilleurs connaisseurs des mentalités populaires entre le XVIe et le XIXe.
Au terme d’une belle carrière – ancien directeur de l’Ecole des chartes, professeur émérite d’histoire moderne à la Sorbonne et président de la Société d’étude du XVIIe siècle, Yves-Marie Bercé est aussi membre de l’Institut – ce lettré continue d’écrire, pour le plus grand bonheur de ceux qui le suivent. Il vient de réunir en un volume des textes épars consacrés à l’interaction entre les révoltes populaires et la construction d’un appareil de répression judiciaire et politique émanant de l’Etat royal, de François Ier à Louis XIV (1). Cela donne un volume savant, un brin austère. La seconde parution est beaucoup plus amusante à lire : il y étudie différents phénomènes d’hystérie collective observés dans le monde (2). Depuis les religieuses possédées de Loudun ou de Louviers jusqu’aux convulsionnaires du cimetière de Saint-Médard, en passant par les aboyeuses de Josselin, les victimes de piqûres de tarentules en Espagne ou en Sicile, les danseurs vaudous et les transes des chamans de Laponie, c’est à un voyage chez les bizarres, les déséquilibrés et les fous que l’auteur nous convie. Distrayant, et sans danger. (1) Violences et répression dans la France moderne, CNRS Editions, 222 p., 22 €.
(2) Esprits et démons. Histoire des phénomènes d’hystérie collective, La Librairie Vuibert, 288 p., 21,90 €.