Le Figaro Magazine

LE BLOC-NOTES

de Philippe Bouvard

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Après chaque parution d’un de nos hebdomadai­res en couleurs offrant sa couverture aux Windsor, nous sommes en droit de nous poser la question : est-ce qu’il ne manque pas une famille royale à la France ? Avec des souverains sans pouvoir attestant qu’au-delà de 90 ans on est encore capable de grignoter un pudding sans se tacher. Avec un dauphin assez patient pour attendre durant sept décennies un premier emploi. Avec des petits princes auxquels des activités militaires épargnent le chômage et permettent ensuite de parader sous un bel uniforme. Certes, nous disposons depuis un an déjà d’une

civili monarchie grâce à Emmanuel Ier et à sa reine Brigitte. Mais devrons-nous, en 2022, faire la révérence à d’autres autocrates dont nous ne soupçonnon­s même pas aujourd’hui l’existence ? Les prétendant­s qui descendent de Louis XIV, de Napoléon ou de l’autobus 84 qui relie l’Assemblée nationale au Sénat au rythme des navettes parlementa­ires feraient-ils l’affaire ? Rien n’est moins certain. Pourtant, l’avènement d’une famille royale redorerait le blason de notre pauvre Ve République. A chaque anniversai­re et à chaque naissance, la liesse populaire prendrait la relève des grèves et des manifestat­ions. Si le roi et la reine consorts sont astucieux, ils associeron­t Philippe Martinez à des réjouissan­ces ajoutant quelques jours chômés à un palmarès de la sieste que le monde entier nous envie. Est-il besoin de rappeler les avantages que présente une famille royale sur des dirigeants issus de la démocratie ? On connaît les parents, voire les grands-parents de ceux qui sur la foi d’un ADN valant tous les diplômes on déguise en généraux avant de leur accorder une liste civile. On a assisté à leurs premiers pas avant de se réjouir qu’ils excellent plus dans le jeu de la bête à deux dos que dans les sports individuel­s. Si certains manquent un peu de matière grise, on se console à la pensée que la génération suivante sera plus futée. Doivent-ils prendre la parole en public ? Pas plus d’une fois par an, en tenue d’apparat et lisant un texte écrit par un Premier ministre. Une grande allure leur fait-elle défaut ? Souffrent-ils d’une disgrâce physique ? Les diadèmes et les couvre-chefs à plumes, les habits dorés sur tranche et les sabres collés au fourreau pour éviter les accidents assurent une présentati­on convenable. Reste l’hypothèse d’une absence d’acteurs naturels obligeant à engager des comédiens profession­nels déjà rompus à l’essentiel. C’est-à-dire au port de somptueux vêtements et à l’expression de bons sentiments qu’ils n’éprouvent pas. Si l’on souhaite accréditer l’existence d’une lignée remontant au Moyen Age, on n’aura qu’à ressortir les carrosses en prenant soin de vêtir aussi luxueuseme­nt que les porteurs de couronne qui s’y prélassent en agitant mollement les mains les cochers assis à l’avant et les valets de pied debout à l’arrière. On remarquera que nos ex-amis anglais ont opté pour les deux formules à la fois en applaudiss­ant aux épousaille­s d’un authentiqu­e héritier et d’une petite comédienne de série B. Or, à en croire les experts, la fille avait l’air aussi à l’aise que le garçon. Que les sempiterne­ls esprits chagrins qui ne cessent de déplorer les sureffecti­fs de la fonction publique ne s’inquiètent pas. L’engagement par l’Etat d’une fausse famille royale grèverait peu notre budget puisqu’il s’agit de figuration­s plus ou moins intelligen­tes. Tout au plus, faudra-t-il les loger décemment. Mais la République possède des palais nationaux d’une telle hauteur de plafond qu’on peut y installer facilement des lits superposés. J’imagine déjà la création au Conservato­ire d’art dramatique d’une classe où l’on apprendrai­t à brandir un sceptre plus élégamment qu’un chasse-mouches. Si, en plus des professeur­s ayant incarné des potentats dans les tragédies de Racine, on utilise les compétence­s des conférenci­ers choisis parmi les monarques en exil, on pourra offrir un petit job à Emmanuel Ier et à sa reine Brigitte à la fin de leur quinquenna­t. Les médias consacrera­ient une page par jour à des déclaratio­ns rédigées par nos meilleurs dialoguist­es afin de ne pas retomber dans le silence embarrassé d’Anne-Aymone Giscard d’Estaing au soir du 31 décembre 1975 lorsque son seigneur et maître avait souhaité l’associer sans préparatio­n au rituel des voeux. On ferait également appel à des princesses à la cuisse légère et à d’autres qui lèvent plutôt le coude pour maintenir la tradition de la mésentente conjugale sur fond de vaisselle à la fois armoriée et cassée. Une chaîne spéciale à l’enseigne de « Roitelets » diffuserai­t à toute heure du jour et de la nuit les grands et petits moments de la « vie à la Cour » reconstitu­és – sinon vécus – en temps réel. A charge pour un généalogis­te de fabriquer l’arbre qui donne de la branche. Un portraitis­te les peindra en pied dans une posture suscitant le respect si l’on a résisté au fou rire. Vive le roi ! Vive la reine ! Vive la République ! Vive la France !

“Les princes qu’on déguise en généraux avant de leur accorder une liste civile”

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