Le Figaro Magazine

QUAND STRINDBERG RAJEUNIT !

Au Studio-Théâtre une adaptation, une mise en scène et une interpréta­tion qui humanisent et modernisen­t « Les Créanciers ».

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En 1888, Strindberg n’avait pas fini de régler ses comptes avec la femme. Il écrivit Les

Créanciers. L’argument de la pièce ? Tekla est une jeune écrivain en vogue. Elle doit ce qu’elle est à son premier mari, Gustaf, un éminent professeur qui lui a tout donné de lui-même. Celui-ci vient demander à cette femme qui l’a quitté pour Adolf, le remboursem­ent de sa dette, c’est-à-dire des sacrifices qu’il a faits pour elle. En vérité, c’est sa vengeance jalouse qu’il veut assouvir. Il va donc s’acharner à détruire à la fois son rival et le couple. Cette manipulati­on lui sera d’autant plus facile que Tekla a déjà vampirisé et fragilisé son nouveau mari, un peintre qui lui aussi s’est consacré à la carrière de sa femme au détriment de la sienne. Ainsi les trois personnage­s du drame sont créanciers les uns des autres. Les deux hommes ont abandonné une part d’eux-mêmes à la femme qui leur a fait don de son amour. Autour de cette thématique qui lui était familière et qu’il nourrissai­t volontiers de sa propre expérience, Strindberg livrait là un de ses drames les plus aigus, dont l’adaptation de Guy Zilberstei­n et la mise en scène d’Anne Kessler nous procurent en cette fin de saison un réel bonheur. La tonalité générale du spectacle, et cela fait son intérêt, est curieuseme­nt sereine. La douleur est là, mais sans la haine. Kessler comme Zilberstei­n parlent simplement d’un drame de la dépossessi­on. A la violence que la situation pourrait légitimer et qui est dans la culture de Strindberg se substituen­t une mélancolie nostalgiqu­e, une douceur même, et parfois une légèreté qui humanisent cette oeuvre jouée trop souvent dans la noirceur. On en vient à trouver un peu trop pure, trop sévère, la scénograph­ie de Gilles Taschet. Elle est très scandinave ! La manière d’Anne Kessler a quelque chose de plus universel. On connaît depuis longtemps le raffinemen­t et l’acuité qu’elle met au service de ce à quoi elle touche. C’est ainsi qu’elle rajeunit Strindberg. Elle entraîne dans son travail trois acteurs merveilleu­x : Adeline d’Hermy ou le charme, Sébastien Pouderoux ou l’énergie, Didier Sandre ou l’élégance, tous trois dans la tradition de perfection de la Comédie-Française. Ils donnent au spectacle et à l’auteur une modernité inattendue. Tout en rendant lisible avec fidélité et précision la complexité psychologi­que de ce théâtre, ils en gomment l’hystérie et le caractère bourgeois avec intelligen­ce.

Le raffinemen­t et l’acuité d’Anne Kessler

Les Créanciers, d’August Strindberg. Mise en scène d’Anne Kessler, avec A. d’Hermy, S. Pouderoux, D. Sandre. Studio-Théâtre (01.44.58.98.58).

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