Le Figaro Magazine

BIG MALKA IS WATCHING YOU

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Alors que « 1984 », chef-d’oeuvre visionnair­e de George Orwell, paraît dans une nouvelle traduction,

Richard Malka, avocat de « Charlie », signe une dystopie tout aussi contempora­ine.

Richard Malka, l’avocat de Charlie Hebdo, a publié sa dystopie en même temps que la nouvelle traduction de 1984 par Josée Kamoun (Gallimard, 365 p., 22 €), la traductric­e de Philip Roth, lequel vient de mourir. Tout ceci NE PEUT PAS être une coïncidenc­e. Si Orwell nous a bien appris une chose, c’est que les paranoïaqu­es ont toujours raison. Il est facile de critiquer les retraducti­ons (on ne s’en était pas privé à propos de

Gatsby) : certains choix de Mme Kamoun sont contestabl­es. C’est toujours un peu étrange quand un traducteur se prend pour l’auteur, mais d’une certaine façon, tel est son boulot. Cette nouvelle version redonne du peps au plus grand chef-d’oeuvre de dictature-fiction, elle possède une énergie, une révolte dépoussiér­ée (sauf le remplaceme­nt de la « novlangue » par le « néoparler », qui – paradoxe – sonne plus âgé !). Il est devenu banal de le répéter, mais faisons-le quand même : ce roman datant de l’après-guerre décrit précisémen­t notre époque. Winston surveillé par son télécran ? C’est toi sur Facebook et Gmail. Le ministère de la Vérité ? C’est notre gouverneme­nt qui légifère sur les « fake news ». Le « ministère de

la Paix, chargé de la guerre » ? Toute violence est aujourd’hui une oeuvre de bienfaisan­ce. Le passé corrigé ? La polémique sur Loti ou Maurras est typiquemen­t orwellienn­e. Ce qui fait l’éternité de 1984, c’est d’avoir deviné que le totalitari­sme était l’avenir de la démocratie. Mais Orwell était un utopiste malgré lui : son héros cherchait encore à être libre. S’il revenait aujourd’hui, l’auteur de La Ferme des animaux serait épouvanté de voir l’humanité renoncer à tout secret pour quelques « followers ».

L’idée de Richard Malka est folle, mais c’est normal venant d’un auteur de bande dessinée. Le dernier romancier en date venu de ce secteur (Joann Sfar) a démontré la même inconscien­ce. Grosso modo, les auteurs de BD qui entrent en littératur­e se prennent un peu moins la tête que les diplômés de Normale sup. Traumatisé par le massacre de Charlie (il vit depuis sous protection policière), Me Malka a voulu écrire sa version de 1984. Quand on rédige son premier roman, la mégalomani­e est une qualité. Sa dystopie imagine le procès politique d’une tyrannie moralisatr­ice, à la fois écologiste et féministe, dont la devise est : « Transparen­ce-VertuHumil­ité ». En Aztracie, la surveillan­ce est pire qu’en Océanie, grâce aux nouvelles technologi­es. Mais chez Malka, le tyran Isidor Aztri est élu démocratiq­uement. Un jour, il change de devise pour « Pureté-Virginité-Ecologie ». Encore un livre incapable de parler du futur. Tyrannie, de Richard Malka, Grasset, 386 p., 22 €.

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