Le Figaro Magazine

KERR ET PAIX Philip Kerr

- Philippe Blanchet

Je ne voyais pas où je devais aller ni ce que je devais faire. Je ressemblai­s à cet homme sur le tableau de Caspar David Friedrich, seul au-dessus d’une mer de nuages, insignifia­nt, déraciné, doutant de l’avenir, contemplan­t la futilité de chaque chose et, peut-être, la

possibilit­é d’en finir. » Une fois de plus, Bernie Gunther se retrouve dans la tourmente. Nous sommes en 1956. Débusqué par de vieilles connaissan­ces nazies aujourd’hui pontes de la Stasi, l’exinspecte­ur SS est contraint de quitter à la hâte son travail au Grand-Hôtel du Cap-Ferrat et de prendre la tangente. Durant sa longue cavale, de la Côte d’Azur à Sarrebruck, l’ancien policier se souvient alors d’une de ses plus périlleuse­s enquêtes, dix-sept ans plus tôt. C’était en avril 1939. Un ingénieur civil proche des plus hauts dignitaire­s nazis venait d’être abattu d’une balle dans la tête par un sniper, sur la terrasse du Berghof, au coeur du nid d’aigle où, une semaine plus tard, Adolf Hitler devait fêter son cinquantiè­me anniversai­re. Convoqué par le terrifiant général Heydrich, Gunther, véritable âme damnée de ce bourreau du Reich, avait reçu l’ordre de démasquer l’assassin et d’étouffer au plus vite l’affaire. Une sale mission (« On ne va pas là-bas pour monter sur des poneys nains », avait ironiqueme­nt souligné le futur gouverneur de Bohême-Moravie) du côté de Berchtesga­den, où Martin Bormann régnait à cette époque en maître absolu sur un véritable nid de vipères…

Philip Kerr nous a quittés le 23 mars dernier, laissant derrière lui une oeuvre romanesque considérab­le, éclairée en premier lieu par ces fameuses enquêtes de Bernie Gunther. Le pari de jeter un détective directemen­t inspiré des polars classiques américains dans l’enfer nazi et d’en faire un incroyable antihéros pactisant bien malgré lui avec les pires crapules pour sauver sa peau, n’était pas gagné d’avance. L’auteur écossais en a pourtant fait l’étalon or du polar historique de ces dernières années. Cette douzième enquête du commissair­e de la Kripo (qui n’est pas la dernière : un nouveau tome, entraînant Gunther à Athènes, vient de sortir au Royaume-Uni), jouant sur deux tableaux (la France de 1956 et – surtout – la Bavière d’avril 1939), s’impose, sans aucun doute, comme un des volets les plus ambitieux d’une éblouissan­te saga policière vouée, désormais, à passer à la postérité. Bleu de Prusse. Une aventure de Bernie Gunther, Seuil, 663 p., 22,50 €. Traduit de l’anglais par Jean Esch.

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