Le Figaro Magazine

UN HÉROS DE NAGUÈRE

Un petit roman parfait rend hommage à la mémoire de l’admirable étudiant anticommun­iste tchèque Jan Palach.

- L’APOSTROPHE DE JEAN-CHRISTOPHE BUISSON

CHER CONTEMPORA­IN, notre époque semble enfin mesurer combien la figure du héros est indispensa­ble à une civilisati­on : voir l’émotion suscitée par le sacrifice du lieutenant-colonel Beltrame ou l’admiration portée à Mamoudou « Spiderman » Gassama. Il en fut naguère qui auraient dû générer pareils sentiments. Mais la période choisissai­t alors ses héros, qu’elle préférait plutôt argentins et communiste­s que tchèques et anticommun­istes. Résultat : tout le monde connaît Ernesto « Che » Guevara et presque personne Jan Palach. Le geste suicidaire de celui-ci vaut pourtant bien la geste sanguinair­e de celui-là.

Le 16 janvier 1969, face à l’apathie de ses compatriot­es faisant suite à l’interventi­on de l’Armée rouge en août 1968 destinée à mettre fin au printemps de Prague, il s’immole sur la place Venceslas afin de « réveiller la nation et

sortir le peuple de son désespoir ». Brûlé à 95 %, il est emmené dans un hôpital où il meurt au bout de quelques jours. Et puis… plus rien. Grâce à une propagande efficace, le régime communiste éteint l’incendie, salit la mémoire de l’étudiant de philo et efface les cendres du feu de la Liberté allumé par le rebelle esseulé. On appréciera donc particuliè­rement l’admirable romanrécit-enquête d’Anthony Sitruk qui, à la manière d’un Laurent Binet sur les traces des assassins de Heydrich dans la même ville en 1942, creuse sur place la mémoire de Jan Palach. Mêlant travail d’investigat­ion historique, recension de témoignage­s, d’images et de textes, retranscri­ption (réaliste ou imaginaire) des heures ayant précédé et suivi l’acte de Palach, il interroge, s’interroge, nous interroge. Etait-il seul ou faisait-il partie d’un groupe (les fameuses « torches vivantes ») ? A -t-il été manipulé par les services occidentau­x ? A-t-il hésité ou tremblé ? Etait-il psychiquem­ent fragile ? Sa fiancée était-elle au courant ? Pensait-il survivre à ses blessures ? Croyait-il réellement ébranler le pouvoir ? Celui-ci l’a-t-il un peu été ? Serions-nous capables d’agir nousmêmes ainsi ? Et surtout : son geste a-t-il servi à quelque chose ? A cette ultime interrogat­ion, on peut répondre plusieurs fois oui. D’abord parce que les rédacteurs de la Charte 77 et les acteurs de la révolution de Velours (1989), tout comme les écrivains et les cinéastes tchèques, n’auront de cesse, plus tard, de se référer à lui. Ensuite car il aura permis la confirmati­on d’un auteur dont le livre,

La Vie brève de Jan Palach (Le Dilettante, 192 p., 16,50 €), est aussi porteur de promesses que le geste de son héros. Mais moins douloureux. Post-apostrophu­m : « D’autres torches suivront », avait annoncé Jan Palach. Elles s’appelleron­t Walesa, Jean-Paul II, Soljenitsy­ne…

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