UN HÉROS DE NAGUÈRE
Un petit roman parfait rend hommage à la mémoire de l’admirable étudiant anticommuniste tchèque Jan Palach.
CHER CONTEMPORAIN, notre époque semble enfin mesurer combien la figure du héros est indispensable à une civilisation : voir l’émotion suscitée par le sacrifice du lieutenant-colonel Beltrame ou l’admiration portée à Mamoudou « Spiderman » Gassama. Il en fut naguère qui auraient dû générer pareils sentiments. Mais la période choisissait alors ses héros, qu’elle préférait plutôt argentins et communistes que tchèques et anticommunistes. Résultat : tout le monde connaît Ernesto « Che » Guevara et presque personne Jan Palach. Le geste suicidaire de celui-ci vaut pourtant bien la geste sanguinaire de celui-là.
Le 16 janvier 1969, face à l’apathie de ses compatriotes faisant suite à l’intervention de l’Armée rouge en août 1968 destinée à mettre fin au printemps de Prague, il s’immole sur la place Venceslas afin de « réveiller la nation et
sortir le peuple de son désespoir ». Brûlé à 95 %, il est emmené dans un hôpital où il meurt au bout de quelques jours. Et puis… plus rien. Grâce à une propagande efficace, le régime communiste éteint l’incendie, salit la mémoire de l’étudiant de philo et efface les cendres du feu de la Liberté allumé par le rebelle esseulé. On appréciera donc particulièrement l’admirable romanrécit-enquête d’Anthony Sitruk qui, à la manière d’un Laurent Binet sur les traces des assassins de Heydrich dans la même ville en 1942, creuse sur place la mémoire de Jan Palach. Mêlant travail d’investigation historique, recension de témoignages, d’images et de textes, retranscription (réaliste ou imaginaire) des heures ayant précédé et suivi l’acte de Palach, il interroge, s’interroge, nous interroge. Etait-il seul ou faisait-il partie d’un groupe (les fameuses « torches vivantes ») ? A -t-il été manipulé par les services occidentaux ? A-t-il hésité ou tremblé ? Etait-il psychiquement fragile ? Sa fiancée était-elle au courant ? Pensait-il survivre à ses blessures ? Croyait-il réellement ébranler le pouvoir ? Celui-ci l’a-t-il un peu été ? Serions-nous capables d’agir nousmêmes ainsi ? Et surtout : son geste a-t-il servi à quelque chose ? A cette ultime interrogation, on peut répondre plusieurs fois oui. D’abord parce que les rédacteurs de la Charte 77 et les acteurs de la révolution de Velours (1989), tout comme les écrivains et les cinéastes tchèques, n’auront de cesse, plus tard, de se référer à lui. Ensuite car il aura permis la confirmation d’un auteur dont le livre,
La Vie brève de Jan Palach (Le Dilettante, 192 p., 16,50 €), est aussi porteur de promesses que le geste de son héros. Mais moins douloureux. Post-apostrophum : « D’autres torches suivront », avait annoncé Jan Palach. Elles s’appelleront Walesa, Jean-Paul II, Soljenitsyne…