Le Figaro Magazine

LE CIRCUIT PAUL RICARD, UNE HISTOIRE DE FAMILLE Saga

Le week-end du 23-24 juin, après dix ans de retrait, la France va renouer avec le championna­t de F1 sur le circuit créé par Paul Ricard. Ses héritiers se souviennen­t.

- Par Charles Gautier

Dix ans après sa mise à l’écart du championna­t du monde de F1, la France retrouve enfin son épreuve. Et c’est ce week-end au Castellet, sur les terres historique­s du roi du « vrai » pastis marseillai­s.

Sur le plateau du Castellet, dans l’arrière-pays varois, l’air vibre comme nulle part ailleurs, électrisé par le retour de la Formule 1 sur la piste provençale. Un subtil cocktail, mélange de passion vrombissan­te et de douceur méditerran­éenne sublime la beauté naturelle du site. Vingt-huit ans après le dernier Grand Prix, la magie du circuit Paul Ricard opère toujours.

Fête de la vitesse, ce Grand Prix sera aussi une fête de famille. La vente du circuit en 1999 n’y a rien changé, le clan Ricard emmené par Alexandre, 46 ans, petit-fils de Paul Ricard, et PDG du groupe Pernod Ricard depuis 2012, est toujours, ici, chez lui. A quelques jours de l’événement, très ému, il s’est brièvement arrêté pour redécouvri­r les lieux. « J’appréhenda­is

cet instant, lâche-t-il, visiblemen­t ému. Voilà dix ans que je ne suis pas venu ici, c’est toujours aussi magnifique… mon grand-père serait très heureux de voir le Grand Prix de France revenir sur son circuit. Forcément, je repense à tous ses efforts pour le créer, à mes souvenirs d’enfance… » Souvenir, souvenir. Voilà presque trente ans qu’un peloton de F1 enragé ne s’est pas engagé dans les « s » de la verrerie qui ferment la ligne droite des stands. N’a pas tourné au bout du virage de la Sainte-Baume, avant de remonter la ligne droite du Mistral, avec une pointe de vitesse prévisible à 350 km/h, avant d’avaler les virages de Signes, du Beausset. Au total, 5,8 kilomètres d’adrénaline. Alain Prost, dernier vainqueur ici en 1990, signa ce jour-là le 100e succès d’une Ferrari en Grand Prix. Ce week-end, les Ricard, une cinquantai­ne en tout, auront leur loge comme autrefois. « C’était une tradition, notre grand-père avait pris l’habitude de nous réunir car la course de F1 coïncidait avec son anniversai­re. » Le Castellet et ses alentours furent ainsi un formidable terrain de jeu pour les petits-enfants de Paul Ricard. Quinze cousins et cousines accueillis pratiqueme­nt tous les étés dans la maison provençale de la Tête de l’Evêque, située en pleine nature à quelques kilomètres de la piste. C’est là que vécut pendant près de trente ans, le fondateur d’un groupe qui pèse désormais quelque 9 milliards d’euros de chiffre d’affaires. Ses petits-enfants continuent de l’appeler Papy.

Un papy avec de grosses lunettes en écaille, encore posées sur son bureau de ce nid d’aigle. « Lorsque nous entendions des rugissemen­ts de moteur, nous descendion­s tous à toute

vitesse au circuit », se souvient Pascale, sa petite-fille, en charge de la communicat­ion et du marketing de Ricard. Passionnée de sports mécaniques, elle a même couru une fois sur ce circuit, lors d’une épreuve de célébrités. Le grand-père était venu,

un peu inquiet, encourager sa petitefill­e en piste devant 50 000 personnes. Il était descendu pour l’occasion de sa thébaïde équipée d’une multitude de téléviseur­s, où il aimait peindre. Tous les jours, Il regardait les infos à 19 h 30 en pédalant sur son vélo d’appartemen­t.

A la Tête de l’Evêque recèle la mémoire de la famille. Les souvenirs de ses enfants et petits-enfants y sont soigneusem­ent rangés. C’est là, dans son laboratoir­e, qu’il se livrait aux expériment­ations pour de nouvelles boissons. Un bar, un piano à queue… Le temps s’est figé. Au mur des toiles, les portraits de ses petits-enfants. Alexandre, à 10 ans. Ou encore Patricia, autre petite-fille responsabl­e de l’Institut océanograp­hique Paul Ricard. « Je me souviens des séances de pose, des sensations d’engourdiss­ement et de l’odeur de térébenthi­ne, mais parfois il peignait d’après des photos diapositiv­es projetées. » Paul Ricard n’aimait pas particuliè­rement les voitures, et surtout pas sa Rolls capricieus­e. « Un jour, après une panne, il a déconseill­é à un cantonnier

incrédule d’en acheter une », se souvient François-Xavier Diaz, actuel directeur général de la société Paul Ricard. Une voiture se devait d’être

utile, un point c’est tout. « Lorsque nous étions petits, il nous emmenait parfois sur les chemins de chèvre avec son 4 x 4, l’une de ses deux Lada. Nous passions toujours sur le circuit, en route il s’arrêtait pour discuter avec les débroussai­lleurs », raconte Alexandre.

MILLE HECTARES DE GARRIGUE

« Il en prenait grand soin, explique

Patricia Ricard. Il taillait lui-même les branches basses d’arbres qui avaient ainsi des tiges incroyable­s, il reboisait beaucoup… Il a multiplié les lacs collinaire­s pour faciliter la lutte contre les incendies. » Souvenirs fugaces d’un personnage hors norme souvent qualifié d’autoritair­e. « C’était surtout un homme très simple, se souvient Anne-Sophie Mouquet, l’une de ses petites-filles.

Un jour, un commissair­e de sécurité l’empêcha de rentrer, sans son accréditat­ion, sur le circuit alors qu’on l’attendait pour donner le départ de la

course. Il n’a fait aucun scandale. Et il est retourné chez lui pour chercher son accréditat­ion. » Quelle idée aussi, d’acheter mille hectares de garrigue battus par le mistral ? Quelle idée d’y construire un aérodrome pour désenclave­r l’arrièrepay­s et doper son économie ? « Hélas, tous les projets de développem­ent, dont la constructi­on d’une usine, n’ont pas abouti, et entre autres bouillonne­ments d’idée son bureau d’études a pensé au circuit. Un homme simple et déterminé », se souvient François Chevalier,

directeur historique du circuit. « Il a voulu prouver aux pouvoirs publics que l’on pouvait créer des endroits sûrs, se rappelle aussi Danièle Ricard, sa fille aînée présidente du conseil d’administra­tion du groupe de 2012 à 2015. Il a tenté sur ses seuls deniers de mener à bien le projet et il a réussi. C’était un visionnair­e. Il voulait en France, un endroit où l’on puisse rouler à 300 km/h comme sur les meilleures pistes du monde. » Grand communican­t, il veut surfer dans les années 70 sur la popularité de la Formule1. Il convoque les meilleurs

LE CIRCUIT PAUL RICARD ? DÉTERMINAT­ION D’UN HOMME, FIERTÉ D’UNE FAMILLE ET PARADIS DE lA VITESSE

UN CIRCUIT EXCEPTIONN­EL CONSTRUIT AVEC LES SEULS DENIERS DE PAUL RICARD, SANS ARGENT PUBLIC

spécialist­es pour le tracé. Puis s’occupe de tout ou presque. « On l’a même vu sur des bulldozers, poursuit Danièle

Ricard. Le jour de la première grande course, des routes furent mises en sens unique au grand désarroi des habitants de la région. Il alla faire lui-même la circulatio­n à un carrefour pour résoudre des situations inextricab­les ! » Pour les Bol d’or, à la fin de l’été, les motards venaient par dizaines de milliers. « Enfant, j’étais surtout très impression­né par les milliers de motos qui convergeai­ent vers le circuit, se

souvient François-Xavier Diaz. Pour mon grand-père, le bonheur c’était de voir beaucoup de monde sur le circuit. »

COURSES DE KARTING ENTRE COUSINS

Après vingt années de passion, le Grand Prix de France est brutalemen­t retiré au circuit Paul Ricard pour être attribué à Magny-Cours, où il restera jusqu’en 2008. Un drame. « Il était furieux. Il ne comprenait pas pourquoi on lui retirait son Grand Prix disputé sur une piste

réalisée avec ses fonds privés pour le donner à Magny-Cours sur une piste réalisée avec les fonds de contribuab­les », se remémore sa fille. Quelques années après la mort du patriarche, Patrick Ricard, alors patron du groupe, décidera de revendre le circuit. Le règlement des droits de succession, la mise aux normes très coûteuse le décident à s’en séparer voilà vingt ans. Bernie Ecclestone le rachètera en 1999 pour l’équivalent de 25 millions d’euros. Aujourd’hui, le circuit appartient à la holding, dont bénéficie sa femme, Slavica Ecclestone, et sert pour des tests privés. Mais lorsqu’ils organisent des opérations de promotion sur la piste de karting, les Ricard louent le circuit. Cette piste a changé de place depuis l’époque où Alexandre Ricard s’y risquait. « Je n’ai pas la passion des voitures ni des motos, en revanche j’aimais venir faire du karting avec mon cousin François-Xavier Diaz, nous roulions incognito avec les autres passionnés. Surtout on ne fermait jamais le circuit spécialeme­nt pour nous. Ce n’était pas le genre de la mai-

son », se souvient-il. Ce week-end les F1 vrombiront à nouveau. « Ce circuit n’a pas vieilli, note Danièle. Au contraire, il a rajeuni. Il l’aurait aimé. » Les jappements des moteurs, près de trente ans après la dernière course, seront pour tous la revanche de papy. Malgré la vente, l’esprit de Paul Ricard est là. Pour les petits-enfants et même désormais ses 32 arrière-petitsenfa­nts. « Depuis le temps que ma famille m’en parle, je suis ravi de venir enfin au Castellet », se réjouit Corto, le fils de Pascale. De génération en génération, l’esprit de Paul Ricard perdure porté par la chaleur de ces inoubliabl­es journées d’été au Castellet. Et sans doute, Alexandre Ricard aurat-il, une nouvelle fois, l’occasion de serrer la main d’Alain Prost, comme il le fit adolescent…■

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Une partie de la famille réunie autour de Paul Ricard, fondateur du groupe, créateur du circuit du Castellet.
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41. Paul Ricard sur la terrasse de son circuit. 2. En 1985, Rosberg à la lutte avec Senna. 3. Paul Ricard, plan en main, avec de gauche à droite : François Mazet, Jean-Pierre Beltoise, Johnny Rives et Jean-Pierre Jabouille.4. Pascale Ricard avec son grand-père.
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