Le Figaro Magazine

EN VUE Kohei Nawa

- Vincent Jolly

L’artiste prisé de toutes les foires d’art contempora­in et de design va exposer l’une de ses oeuvres les plus exceptionn­elles au centre de la pyramide du Louvre.

Pour un pays qui a eu tant à coeur de décapiter ses monarques, la France a pourtant toujours su apprécier les symboles et la mythologie de la royauté. Le succès de Game of Thrones ou de la série The Crown, la fascinatio­n pour le récent mariage royal britanniqu­e… Dans le cadre de sa participat­ion à « Japonismes 2018 : les âmes en résonance », l’artiste de renom Kohei Nawa produit peut-être l’une des plus belles pièces – en forme de pied de nez – de cette gigantesqu­e manifestat­ion souhaitée et amorcée par François Hollande et le Premier ministre japonais Shinzo Abe, avec son oeuvre

Throne (Trône). Monumental­e, cette sculpture de plus de 10 mètres de haut, recouverte de feuilles d’or et inspirée des formes des chars utilisés lors des procession­s religieuse­s en Orient, sera suspendue dans un lieu tout aussi symbolique : sur le belvédère situé sous la pyramide du Louvre.

Kohei Nawa fait partie de ces artistes méconnus (voire inconnus) du grand public, mais qui a su se faire remarquer et se maintenir sur le marché de l’art contempora­in et du design. En 2012, lors de la prestigieu­se foire Art Basel de Miami, son cerf empaillé et entièremen­t recouvert de globes de verre s’arrachait à 450 000 dollars. A 43 ans, représenté par Scai The Bathhouse, l’une des plus importante­s galeries tokyoïtes, il incarne cette génération d’artistes qui participen­t à altérer la vision parfois stéréotypé­e que les Occidentau­x peuvent avoir de l’art et de la culture japonaise, souvent résumés aux estampes d’Hokusai, au

chambara ou aux mangas pour adolescent­s. Dès 2011, il participai­t à une exposition à New York baptisée « Bye Bye Kitty!!! » qui symbolisai­t le rejet de cette culture du

kawaii (littéralem­ent, mignon) alimentée par les pays étrangers. « Peut-être qu’autrefois, les artistes pouvaient utiliser, et même bénéficier, des clichés du Japon dans leur

travail, expliquait l’artiste en 2013 dans une interview au

New York Times. Mais je pense que ma génération ne ressent plus le besoin de s’identifier avec le Japon, ni même de le représente­r.» Avec Throne, Kohei Nawa s’éloigne de ses animaux et figurines enfouis sous des bulles de verre pour revenir à ces majestueus­es sculptures, produites à l’aide de modélisati­on en 3D et d’artisanat traditionn­el. Une rencontre entre deux méthodes qui souligne bien l’amour de l’Asie pour les nouvelles technologi­es. Un procédé avec lequel il avait déjà réalisé, en 2013, Manifold, un mastodonte de 13 mètres de haut composé de près de 200 parties distinctes assemblées dans trois pays différents. TROIS FIGURES DU POUVOIR IMBRIQUÉES AU COEUR DE PARIS Mais avec ce colosse d’or, c’est notre perception et notre relation au pouvoir – et à ce qui le constitue – que veut interroger le créateur japonais. « La pyramide du Louvre est une manifestat­ion d’un symbole qui, dans l’Egypte antique,

incarnait l’autorité, explique-t-il. Quatre mille ans après, c’est toujours le cas. Ce trône flottant représente une nouvelle incarnatio­n du pouvoir, celui d’aujourd’hui. Le même pouvoir qui est remis en cause par l’émergence et le développem­ent de l’informatiq­ue et de l’intelligen­ce artificiel­le. » Pendant six mois s’imbriquero­nt ainsi au coeur de Paris trois figures du pouvoir : la pyramide, le Louvre et l’installati­on du Throne de Kohei Nawa – dont le budget total serait estimé à plus d’un million d’euros. Et si à l’heure où paraît cette édition, personne encore ne sait à quoi ressembler­a l’oeuvre suspendue sous la verrière du Louvre, les projection­s réalisées en images de synthèse n’en promettent pas moins un résultat… royal. Throne, de Kohei Nawa. Pyramide du Louvre, du 13 juillet 2018 au 14 janvier 2019.

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