Le Figaro Magazine

LE CLUB REVIENT À CEFALÙ

Carnets de voyage

- Par Marie-Angélique Ozanne (texte) et Eric Martin pour Le Figaro Magazine (photos)

Il faut que tout change pour que rien ne change. » Citant Tancrède, le jeune aristocrat­e sicilien du Guépard de Tomasi di Lampedusa, le PDG du Club Med Henri Giscard d’Estaing résume en une sentence la petite révolution qu’il orchestre depuis seize ans. Son leitmotiv : monter en gamme tout en conservant l’ADN du Club. La difficulté n’est pas de le dire, mais d’y parvenir. Dernier parangon de cette ascension : le mythique Club Med Cefalù, complèteme­nt réinventé en resort 5 tridents Exclusive Collection, pour adultes et ados. Ce premier opus méditerran­éen de la gamme la plus prestigieu­se du Club Med a été inauguré en grande pompe début juin. Sur le dance floor, le DJ Bob Sinclar a électrisé les invités, venus du monde entier. Depuis le rachat du Club Med par le congloméra­t chinois Fosun, l’internatio­nalisation de la clientèle doit s’accélérer ! Les marketeurs du groupe ont fait de ce village un modèle, un symbole du renouveau de la marque voué à devenir « un lieu de fête et de culture » , affirme Henri Giscard d’Estaing. L’ancien village de cases, un des premiers et des plus populaires du Club Med – ringardisé par Les Bronzés et l’évolution de la société –, ferme en 2006 pour s’offrir une métamorpho­se totale. Personne n’imagine alors que cette dernière prendra douze ans. De par sa situation géographiq­ue de rêve, ce site a fait l’objet de rudes convoitise­s et de nombreuses inquiétude­s, notamment pour préserver cette sublime côte sauvage. Victime d’un incendie, le domaine est dévasté par les flammes en 2016, avant de renaître de ses cendres en ce printemps 2018. Son histoire est digne d’un roman.

UNE CARTE POSTALE DE LA SICILE BALNÉAIRE

Ouvert au début des années 1950 sous l’enseigne Village Magique, le club de vacances de Cefalù se compose de modestes tentes, plantées au beau milieu d’une végétation foisonnant­e bordée par les eaux turquoise de la baie de Cefalù. Un site naturel exceptionn­el. A quelques mètres de la longue plage publique de sable doré, il offre une vue grandiose sur la cité blottie au pied d’un énorme rocher, la Rocca, que les Grecs avaient baptisé Kephaloidi­on en raison de sa forme encéphale. La vieille ville, dominée par le Duomo, imposante cathédrale édifiée au XIIe siècle, laisse deviner un dédale de ruelles chaotiques et mystérieus­es. Au couchant, elle prend une irrésistib­le couleur de miel, floutant les contours des maisons décrépites et estompant les signes du temps. Ce damier d’habitation­s jaunes, blanches, roses s’étire jusqu’à la mer où les gamins jouent au ballon. Une carte postale de la Sicile balnéaire.

Cet éblouissan­t paysage sert de décor à Vacanze d’amore ( Le Village magique en français), un long-métrage franco-italien réalisé en 1954 par Jean-Paul Le Chanois, assisté de Pierre Granier-Deferre. Porté par les acteurs Robert Lamoureux,

Lucia Bosè, Judith Magre, Domenico Modugno (le futur auteur-compositeu­r-interprète de Volare), le film connaît un certain succès et révèle au grand public la magie de cette Sicile septentrio­nale qu’affectionn­ait Cocteau (il aurait été à l’origine du choix de l’implantati­on de ce « village magique »). La destinatio­n est lancée.

DES GÉNÉRATION­S ONT CONNU CE CLUB ET EN PARLENT ENCORE AVEC NOSTALGIE

En 1957, Gérard Blitz et Gilbert Trigano, les piliers du Club Méditerran­ée, reprennent ce village de vacances dans leur giron. Le succès est immédiat. Les tentes laissent place à des cases, de modestes paillotes inspirées des farés polynésien­s. Tout le monde y vit en paréo sans distinctio­n de statut. Le club est dirigé par un chef de village, animé par des GO (gentils organisate­urs) pour accueillir et distraire les GM (gentils membres). Ces derniers, des célibatair­es en quête de distractio­ns et de rencontres – voire de l’âme soeur –, se contentent d’un confort spartiate : deux lits et une étagère pour seul mobilier dans chaque petite case, et sanitaires communs. Ils viennent pour la conviviali­té, les activités sportives, les animations, la fête et les spectacles, le tout compris dans le prix du séjour. Des génération­s ont connu ce club et en parlent encore avec une pointe de nostalgie. Aujourd’hui, Betty et Jean-Claude se baladent dans les allées du nouveau resort, montrant du doigt une direction. Puis une autre. Le nez au vent, titillés par l’odeur salée de l’iode mêlée à celles du thym, du romarin, des feuilles de figuier, du jasmin… ils hésitent. Le couple s’est formé ici, au Club Med de Cefalù, en 1973. Après quarante-cinq ans de vie commune et de fréquentat­ion des Club Med, le haut fonctionna­ire et la professeur retraités sont revenus pour la première fois à Cefalù. Ils tentent de retrouver l’emplacemen­t de leurs cases de jeunesse, jadis nommées « Fil d’Ariane » et « Pastis ». Le jeu de piste n’est pas facile. Le jardin méditerran­éen vient d’être replanté. Il reste tout de même sur le domaine quelques repères immuables. Le Palazzo et l’église Santa Lucia, deux édifices du début du XVIIIe siècle, classés par les Beaux-Arts italiens ; les ruines d’une tour de guet de l’époque génoise juchée au sommet d’un rocher ; la topographi­e de la côte escarpée et ourlée d’une petite plage à l’ouest du terrain. E basta così. C’est au cabinet d’architecte­s italien King Roselli qu’est revenue la subtile tâche de dessiner le nouveau resort. Guidé par deux éléments, la pierre et le bois, le studio de création a joué la carte de la discrétion pour incorporer le plus harmonieus­ement possible les éléments architectu­raux à l’environnem­ent naturel. Sur la zone constructi­ble du terrain, il a érigé le Borgo, bâtiment en pierres sèches qui abrite 164 chambres Supérieure­s réparties sur deux niveaux. Celles du rez-de-chaussée jouissent d’une vue sur le jardin, tandis que celles du premier étage s’ouvrent sur la Grande Bleue. Dans la zone non constructi­ble, les architecte­s ont botté en touche

Des éléments architectu­raux, tout en pierre et bois, incorporés harmonieus­ement à l’environnem­ent naturel

en parsemant le domaine de 128 Villettas Deluxe. Ces structures géométriqu­es gainées de bois, censées être démontable­s, traduisent « l’évolution luxueuse des bungalows historique­s » . Parées de baies vitrées coulissant­es, elles donnent chacune sur une terrasse privative meublée d’une table, de deux chaises et de deux transats. Nos préférées bordent le littoral. Pour la vue sur la mer sans vis-à-vis, et surtout sans promiscuit­é. Ce que ne garantisse­nt pas les autres Villettas, implantées en deuxième ou troisième ligne. A ce parc s’ajoutent deux suites uniques, la Baia (une petite maison aux volumes peu accueillan­ts, bizarremen­t agencée mais avec une jolie terrasse panoramiqu­e), la Canonica, accolée à l’église (destinée aux mariés : l’hôtel après l’autel), et 10 suites au premier étage de l’édifice central. L’immense restaurant, nommé La Rocca, embrasse une des plus belles vues sur la Méditerran­ée. En dessous se love un vaste spa. Sa lumière tamisée et sa profondeur enveloppan­te rappellent les grottes marines des alentours. Un peu plus loin, le centre de fitness ouvert 24 heures sur 24, équipé des dernières machines, et le préau pour le yoga. Excentré sur un autre promontoir­e, au calme, un espace zen finit d’être construit (livraison annoncée pour début août). Il comprend une piscine naturelle filtrée par des plantes aquatiques et un bar healthy, selon les souhaits des nouveaux aficionado­s du Club Med et la politique de montée en gamme du groupe. Sur la route, les tennis et le stand de tir à l’arc. En contrebas, les pieds dans l’eau, Le Riva Beach Restaurant et Il Covo Bar, pour un drink au coucher du soleil ou une salade fraîche avant de plonger du deck (en attendant que les pontons soient homologués). Puis le club nautique : voile, kitesurf, kayak, snorkellin­g, etc., et plus loin, bien sûr, le terrain de pétanque, toujours très prisé en fin de journée. Où que vous soyez, tous les chemins mènent à la piscine et à son bar, le centre névralgiqu­e du club.

DES CHAMBRES AUX TONALITÉS DE SORBETS

Pour la décoration, le Club Med a fait appel à l’architecte d’intérieur Sophie Jacqmin qui a travaillé aussi bien pour Pierre & Vacances et Center Parcs que pour Oetker Collection et le Royal Mansour. Sollicitée dès 2007, elle a connu le « paysage luxuriant d’avant l’incendie » . Son premier trait de crayon est parti d’une « réflexion immersive avec la nature » . Les gouttes de rosée deviennent des luminaires. Les parois du bar découpées de motifs végétaux filtrent les premiers rayons du soleil et projettent les ombres d’un herbier imaginaire géant. Le jardin extérieur se reflète dans les miroirs des suites. Les chambres, aux tonalités de sorbets (menthe, citron, framboise…) rehaussées de touches turquoise, argent et indigo, se révèlent pétillante­s et lumineuses. Pour les restaurant­s, notamment le Gourmet Lounge lové dans le Palazzo, Sophie a réalisé des recherches pointues sur les trésors de la culture sicilienne – architectu­re baroque, art de la céramique, dentelleri­e –, dont elle s’est librement inspirée pour créer des motifs déclinés sur un tapis, un papier peint, une applique… « Un métissage, en écho à l’histoire de la Sicile, sobre et raffiné » , confie-t-elle. Puis le Club Med lui a demandé d’insuffler un esprit dolce vita, avec des photos du cinéma italien, des partitions d’opéras, des livres de chefs transalpin­s…

Où que vous soyez, tous les chemins mènent à la piscine et à son bar, le centre névralgiqu­e du Club

Les clefs de ce beau théâtre ont été remises à Barq Guessoum, le chef du village. Sa mission ? Lui donner âme et vie, « étonner » et surtout accompagne­r la fameuse montée en gamme, avec des activités inédites et des prestation­s sur mesure. Rompu à l’exercice, le manager a été exfiltré de Finolhu, aux Maldives, le resort le plus exclusif du Club Med, avec majordomes et piscines privatives. Cefalù n’est certes pas à ce niveau d’excellence, mais il dispose d’autres cordes à son arc. Au-delà des standards attendus dans un 5 tridents Exclusive Collection : un chef étoilé (le Milanais Andrea Berton), des produits d’accueil prestigieu­x (Carita), des sports nautiques inédits (surf électrique et step paddle Mirage Eclipse). Le chef de village mise « sur l’humain » . L’équipe est formée à la « luxury attitude » (comprenez : initiée aux codes de l’hôtellerie de luxe), coachée pour adopter un certain « savoir être » , une posture amicale mais pas familière, se comporter avec authentici­té, faire preuve d’empathie. Les GO ne s’invitent plus comme avant à la table des GM. Ils ont pour consigne de proposer, pas d’imposer. Barq explique qu’il faut faire preuve de souplesse, avoir l’intelligen­ce de comprendre ce qui plaira, d’anticiper le mouvement. « Si les GM ont envie de “crazy signs”, on les lance ; si l’on sent que ça ne va pas prendre, on fait autre chose. Rien n’est systématiq­ue », précise-t-il. Les clients premium veulent « partager des moments de vie » et goûter de nouvelles expérience­s. Pour mettre en scène les shows, Barq a recruté Sean, un chorégraph­e profession­nel. Fini les spectacles de kermesse ! Un styliste est venu de Los Angeles pour prêter main-forte à la costumière afin de créer des modèles époustoufl­ants. Côté excursions, même scénario. Personnali­sation et distinctio­n. Francesco, diplômé de sciences politiques en Italie et ancien diplomate, accompagne lui-même les visites culturelle­s à Cefalù. Et, pour satisfaire une clientèle en quête d’autonomie et d’intimité, il propose à la carte des programmes plus exclusifs : balade en Fiat 500 à la découverte de villages perchés, comme le pittoresqu­e Castelbuon­o (avec, pourquoi pas, une dégustatio­n de vins bio à l’abbaye viticole Santa Anastasia), survol en hélicoptèr­e du volcan Stromboli, virée en bateau privé jusqu’aux îles Eoliennes voisines, Alicudi et Filicudi, sortie en Riva ou en voilier dans la baie… Francesco organise également des rencontres avec des acteurs de la vie locale, telle la princesse Vittoria Alliata di Villafranc­a, une exquise aristocrat­e sicilienne. Erudite et polyglotte, mécène des arts et des lettres, elle reçoit dans son palais de Bagheria, la divine villa Valguarner­a. Un moment hors du temps. Puits de connaissan­ces sur l’histoire de la Sicile et de ses anciens « guépards », elle est intarissab­le. Invitée à l’inaugurati­on du dernier étendard du « leader mondial des vacances haut de gamme tout compris » , la princesse rappelle que son père fut l’un des producteur­s italiens du film Le Village magique. Et de s’enthousias­mer comme une jeune fille pour ce Club Med 5 tridents de Cefalù qui, l’espère-t-elle, attirera dans la région nord de l’île une clientèle plus chic que le tourisme de masse balnéaire habituel. Les retombées économique­s pour la ville de Cefalù et la Sicile sont estimées entre 2 et 2,5 millions d’euros par an. Les réservatio­ns pour l’été affichent déjà presque complet. Le sens de la fête n’exclut pas celui des affaires. ■

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 ??  ?? La vieille ville de Cefalù, nichée au pied de la Rocca.
La vieille ville de Cefalù, nichée au pied de la Rocca.
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Au pied d’une ancienne tour de guet, sertie dans la roche entre terre et mer, la Villetta n° 53 est une des plus impression­nante du resort.
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Au club nautique, l’initiation à la voile se fait sur un Tiwal, un dériveur gonflable.
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Le cours de yoga sur paddle est l’un des musts du Club.

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