Le Figaro Magazine

UN TOUR DE FRANCE PAS COMME LES AUTRES

Deux jeunes gens ont décidé de revisiter, par les villes et les villages de 2018, le parcours du « Tour de la France par deux enfants », paru en 1877. Impression­s de voyage…

- Par Nicolas Ungemuth

Ils sont deux, Pierre Adrian et Philibert Humm. Le premier est catholique, travaille à L’Equipe Magazine et a écrit un livre sur Pasolini ainsi qu’un autre sur le curé d’une vallée des Pyrénées. Le second est athée, collabore à Paris Match et est le préfacier des oeuvres de Mérindol, ami de Robert Giraud… Ils se connaissen­t depuis l’âge de 12 ans et en ont chacun 27. Ensemble, ils ont décidé de refaire le parcours du Tour de la France par deux enfants. Ce best-seller publié en 1877 et lu par des génération­s d’écoliers fut conçu et écrit par Augustine Fouillée sous le pseudonyme de G. Bruno : un « catéchisme laïc », comme le décrivent Adrian et Humm, censé enseigner aussi bien l’histoire et la géographie que le civisme et les valeurs morales. Partis au volant d’une anti- que Peugeot 204, puis en train, en bateau ou à vélo, ces deux grands enfants d’aujourd’hui sont allés voir la France, sillonnant les départemen­tales, levant le coude dans des bars PMU, pédalant sur des pistes cyclables. Ils y ont vu des écoles sans écoliers et des magasins fermés mais ont également fait des rencontres étonnantes, comme ce libraire vendant à Autun des oeuvres de Jean Paulhan ou de Marcel Schwob, entassant près de 40 000 références dans son commerce au grand dam de sa comptable. Tout au long de leur voyage, ils ont rencontré des gens épatants, comme aurait dit Jean d’Ormesson. Leur conclusion est moins sévère que ce qu’il se dit habituelle­ment : « Nous l’avons regardé bien en face, notre pays. Hors des guides et des sentiers rebattus, chargés des nostalgies d’un temps que nous n’avions pas connu. La France n’allait pas fort, c’est vrai. Mais elle n’allait pas trop mal non plus. Pour son âge, elle était même plutôt bien conservée. » Les deux loustics à la tête très bien faite se sont retrouvés dans un bistrot pour discuter de ce drôle de voyage. Vous décrivez le livre d’Augustine Fouillée comme du « catéchisme laïc »…

Philibert Humm – Oui, c’est exactement ça. Avec ce voyage imaginaire, ce tour de la France, ces deux enfants devenaient des adultes. C’était un voyage initiatiqu­e. Alors que nous, c’est un peu l’inverse. Nous sommes de jeunes adultes qui font tout pour retomber dans l’enfance. Et d’ailleurs, nous avons fait un peu tout l’inverse de ce qu’ils font dans le livre : nous avons flâné, vagabondé, bu des verres au bistrot alors que l’ouvrage initial vante l’hy-

giénisme, condamne le vagabondag­e. C’est une ode à la vertu du travail alors que nous avons choisi l’oisiveté. C’est un peu comme si nous avions fait le négatif de ce vieil ouvrage.

Pierre Adrian – On partage quand même avec eux la curiosité des territoire­s traversés. Quand on voit une scierie sur le bord de la route, on s’arrête, on demande comment ça fonctionne, un homme nous explique, nous prend sous son aile. Il y a une certaine forme d’émerveille­ment, c’est indéniable.

On a l’impression que vous n’avez cessé de rencontrer des gens sympathiqu­es…

P. A. – Et c’est d’ailleurs ce qu’on en retient : les visages, les rencontres. C’est Jacky à Saint-Loup-sur-Semouse, c’est François le gardien de phare, c’est la coloc d’étudiants à Bordeaux, et tous les autres.

P. H. – Nous ne voulions pas inventer une France de carte postale, nous ne voulions pas nier la désertific­ation, tous ces constats qu’on lit à longueur de journaux. Quand on se promène à Autun, à Nevers, à Auch, oui, on voit des volets clos, des « Bail à céder », etc. Mais nous avons vu une France profonde, du bas, qui tient par l’humour, quand même. L’humour au bistrot, entre autres. Les Français sont marrants, c’est un fait. P. A. – Oui, l’accueil, l’humour, nous avons constaté cela partout. Nous avons aussi découvert une France qui tient par le bénévolat, par les associatio­ns. Il y a partout des gens qui font des choses, qui entretienn­ent la mémoire de leur village, qui s’occupent du musée du coin… C’est une France qui tient aussi par le sport : le match de foot du dimanche, le rallye automobile… Tout cela fait vivre les Français. C’est un pays où l’insoucianc­e est encore possible.

Vous avez même trouvé des restos ouvriers. Ils n’ont donc pas tous disparu ?

P. H. – Ça existe encore ! Vous partez à l’est de Paris, à une demi-heure, au bord de la nationale, vous allez trouver un routier tenu par un couple portugais. Dans toutes les villes, même celles qui semblent désespéran­tes parce que le centre-ville est vide, il y a encore du monde, il y a encore des bistrots.

P. A. – Je ne suis pas tout à fait d’accord. Quand on se balade au centre de Nevers, c’est quand même assez triste. C’est une ville historique, grande, qui a du prestige, liée à Mitterrand. Il y a eu Magny-Cours, il y a le Palais ducal, il y a la cathédrale, c’est beau. Mais ça a été salopé par une mauvaise gestion. C’est devenu très triste, malgré le côté chabrolien.

“NOUS AVONS VU UNE FRANCE PROFONDE QUI TIENT PAR L’HUMOUR. LES FRANÇAIS SONT MARRANTS, C’EST UN FAIT”

P. H. – Et puis, il y a ces franchises qui s’installent partout en France, les H & M, les Zara.

P. A. – Ça, c’est partout. A Dijon, Au Pauvre Diable est devenu un H & M. Et puis, il y a partout des panneaux « A vendre ». On a l’impression que des villes entières sont à vendre… Et n’oublions pas cette urbanisati­on atroce qui a été mal pensée : centres commerciau­x hideux créant la mort des commerces de proximité, grands parkings, ronds-points partout, rocades, Halle aux Chaussures… On ne peut plus entrer dans une ville en France sans passer par le Saint Maclou ou le Kiabi.

P. H. – Dans son livre La Nature malade de la gestion, Jean-Claude Génot parle de la « règle des trois P ». Comment parvenir à saloper et enlaidir un territoire ? C’est simple, il suffit de respecter la règle des trois P : « parkings, poubelles, panneaux publicitai­res ». On voit ça partout.

Mais vous êtes-vous souvent dit « qu’est-ce que c’est beau ! », tout de même ?

P. H. – Bien sûr, mille fois !

P. A. – Moi, j’aime beaucoup la Bretagne, et je peux dire que la pointe du Raz, l’île de Sein, l’Océan, c’est quand même merveilleu­x… P. H. – Mais la ligne bleue des Vosges aussi ! Et le Ballon d’Alsace ! Nous nous baladions sur les petites routes, dans cette voiture qui ronronnait, et nous avions franchemen­t l’impression d’être dans une carte postale.

P. A. – C’est vrai, la ligne bleue des Vosges, le soir, c’est vraiment bleu !

P. H. – Le Morvan aussi, c’est très beau. Et puis Autun, c’est superbe. C’est la ville qui a loupé le TGV, qui a loupé la quatre-voies, donc qui est vraiment enclavée. Elle a une très belle cathédrale, Saint-Lazare, où il n’y a personne !

P. A. – Et n’oublions pas Arras ! Moi, je ne connaissai­s pas. La grand’place est superbe…

Finalement, ce voyage vous a enchantés ?

P. H. – Je ne l’ai pas fait exprès, mais je reconnais que je n’ai rencontré que des gens extraordin­aires, amusants et bizarres. Mon constat est le suivant : malgré son âge, la France a encore bonne mine.

P. A. – Il y a une certaine gratitude aussi. Moi, je remercie ce pays dans lequel je suis né, qui m’offre plein de choses. C’est idiot à dire, mais c’est la vérité. ■ Le Tour de la France par deux enfants d’aujourd’hui, de Pierre Adrian et Philibert Humm, Les Equateurs, 318 p., 20 €.

“MALGRÉ SON ÂGE, LA FRANCE A ENCORE BONNE MINE”

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Pierre Philber quittent la campagne...
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