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EMMANUEL RENAUT : “LES SAISONS ET LE TERROIR INSPIRENT MA CARTE”

Le chef triplement étoilé, meilleur ouvrier de France, est installé à Megève depuis vingt ans. La carte de son restaurant Flocons de Sel révèle une cuisine qui sublime les produits qu’offre cette région dont l’homme est amoureux depuis l’enfance.

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Après plus de vingt ans passés à Megève, le natif du Val-d’Oise est-il toujours considéré comme un étranger ?

Les Savoyards diront qu’il faut avoir plusieurs génération­s de parents au cimetière avant d’être assimilé, mais j’ai toujours été très bien accepté par les Mégevans. Sans doute parce que j’aime la région, je la respecte et je la mets en avant dans ma cuisine.

D’autres régions gastronomi­ques auraient pu vous séduire…

Avant même de choisir mon métier, je savais que j’allais vivre ici. Gamin, je venais skier aux Houches. Ensuite, j’ai fait beaucoup de trial dans le coin avant de faire l’armée dans les chasseurs alpins. Le pays du Mont-Blanc m’a toujours attiré.

Qu’y a-t-il ici de si puissant qui vous plaît tant ?

La liberté, une nature immédiatem­ent accessible dont je profite dès que je le peux. On est à 4 kilomètres du village, au milieu des prés, entourés par les vaches, avec de sublimes paysages : 1 300 m d’altitude, c’est idéal pour une bonne régénérati­on des globules. Je ne suis jamais malade. Tout ce que l’on consomme ici nous maintient en forme. A Megève, on pourrait faire de l’abondance, du reblochon et du beaufort. On bénéficie géographiq­uement de secteurs qui répondent à un cahier des charges strict : tout est sain. La main de l’homme n’a pas modifié les sols.

Créer un potager est à la mode. C’est un apport réel ?

L’été, on est autonomes à 95 % en herbes aromatique­s. Mais, je ne le cache pas, je fais pousser dans la vallée avant de repiquer ici. On a eu la neige jusqu’au mois de mai. Je récolte mes petits pois en août.

Vous allez toujours cueillir vos champignon­s ?

Je suis un fou de champignon­s. Je connais parfaiteme­nt les secteurs, le calendrier des pousses. A partir du 15 juin, j’y vais sans panier, juste pour voir. La nature, il faut la lire, prendre le temps. Puis, à partir de début juillet, je commence à cueillir, parfois un peu plus tôt avec les girolles. Après, j’y vais quatre fois par semaine.

Une nature que l’on retrouve dans l’assiette…

Les produits de la région, les paysans, le pêcheur… Ce sont eux qui inspirent ma carte. Dans l’assiette, il est important de retrouver cette excellence même si je ne suis pas un locavore borné… Par exemple, en Savoie, on n’a pas vraiment de culture de la viande. Alors, je préfère qu’Olivier Metzger soit mes yeux à Paris.

Même dans un restaurant gastronomi­que, la clientèle a-t-elle encore des préjugés sur la cuisine savoyarde ?

Avant, on nous refusait nos poissons de lac en prétextant qu’ils sentaient la vase. La clientèle a évolué, elle sait maintenant que l’omble chevalier est digne d’un turbot et que la féra est le poisson le plus sain qui existe : ça ne mange que du plancton. Et puis, nous aussi, on a appris à cuisiner ces poissons différemme­nt.

Même évolution pour les vins savoyards ?

Autrefois, on disait que, les bonnes années, ils servaient à laver les carreaux et qu’ils les rayaient les mauvaises ! Ces stéréotype­s disparaiss­ent. Aujourd’hui, on a une qualité de produits extraordin­aire : Michel Grisard était le premier à faire dans le bio. Magnin, Quenard, Belluard sont des pionniers suivis par de nombreux petits vignerons qui ont pris conscience du travail de la vigne.

Une bonne raison de venir à la montagne l’été ?

C’est juste magnifique ! L’hiver, la neige sur les sapins vous plante un tableau de rêve partout ; l’été, nos montagnes vivent différemme­nt avec leurs périodes de floraison : le tussilage, les pissenlits, les crocus dès la fonte des neiges. En août, il y a les berces, la reine-després, les carvis avec lesquels on fait une eau-de-vie très intéressan­te pour finir une sauce, les orchis vanilles, le génépi… On a aussi une faune d’une belle diversité – chamois, bouquetins, marmottes, mouflons, chevreuils, cerfs, et tous les tétras. Sans oublier une multitude de plaisirs pour tous les âges : VTT, trail, marche au mont Joly, sur le coteau de Passy… De la promenade familiale à la rando glaciaire, il suffit d’une paire de baskets ou de crampons pour entrer dans les confidence­s d’un été en montagne.

Flocons de Sel, 1775, route de Leutaz, Megève.

Menu dégustatio­n déjeuner, 140 € ; menu dégustatio­n en 8 services, 270 € (04.50.21.49.99 ; Floconsdes­el.com).

 ??  ?? Pour les poissons, le chef travaille avec Eric Jacquier, pêcheur du lac Léman voisin. Ci-contre : féra cuite au sel, et jus d’égopode.
Pour les poissons, le chef travaille avec Eric Jacquier, pêcheur du lac Léman voisin. Ci-contre : féra cuite au sel, et jus d’égopode.
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