Le Figaro Magazine

L’INTELLIGEN­CE DE LA MAIN

Depuis quatre ans, Jean-Pol Bozzone partage sa découverte de la poterie raku. Ses créations sont à son image : elles touchent à l’essentiel.

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Combien de temps pour trouver Jean-Pol Bozzone totalement sympathiqu­e ? Le temps d’une poignée de main, d’un échange de regards et de quelques propos. C’est autour d’un café que la conversati­on s’engage sur le raku : une technique développée au Japon au XVIe siècle, liée à la cérémonie du thé et à la philosophi­e zen, qui s’est imposée naturellem­ent à cet autodidact­e devenu potier il y a quatre ans seulement. L’homme est intarissab­le sur le sujet, sur le wabi-sabi, les écrits de Yasushi Inoué… Soudain, pourtant, il s’interrompt : « Combien de temps avez-vous ? Une heure ! Enfilez un tablier, on va s’y mettre ! » Un privilège de journalist­e ? Non. Des séances d’initiation attirent avec succès adultes et enfants. Direction l’atelier, donc, où sont exposés quelques vases aux teintes naturelles, des bols d’une élégante sobriété… Pas de séries. « Produire à tout-va serait le fruit du travail d’un faiseur ! » précise cet ancien représenta­nt qui enquillait 65 000 kilomètres par an pour vendre senteurs puis gadgets. Un long chemin pour revenir à l’essentiel. L’usure du métier et les drames de la vie l’ont finalement conduit à changer radicaleme­nt de voie il y a quelques années : « J’ai eu besoin de ne plus être en représenta­tion, de me reconnecte­r au silence et d’apprendre la simplicité. » En 2014, il achète une girelle, de la terre et se lance dans cette confrontat­ion à la matière tant attendue. Le raku est la moins sophistiqu­ée des poteries, mais que l’on ne s’y trompe pas : « Cela demande une grande discipline pour éliminer tout superflu, toute prétention ou virtuosité technique qui masquent souvent le propos. La poterie, c’est directemen­t du coeur au coeur, comme dit Philippe Léotard. Il faut oser restituer son chaos personnel. » Et de vous inviter à passer à l’acte : découper la terre, en faire une boule en évitant d’emprisonne­r l’air, ce qui la ferait imploser à la cuisson, puis l’étaler au rouleau à pâtisserie de façon à réaliser une galette régulière qui viendra chapeauter plusieurs tourillons de plâtre dont les formes vont dessiner les lignes de l’objet.

Ici, pas de tour mais des outils de quincaille­rie – brosses, couteaux, épluche-légumes… –, des baguettes de soudure épointées, des boules de sculpteur. L’affaire réclame un doigté et une patience qui ne vont pas de soi. Mais pas de panique : « Il faut juste donner tout ce qu’on a à donner au moment où on le fait. Prétendre à la perfection ne sert à rien car c’est une illusion. Rien dans la nature n’est symétrique ! Et, à l’épreuve de la vie, nul ne peut être constammen­t parfait. » Libérés de toute exigence, de toute performanc­e, vos doigts finissent par modeler ce qui s’apparente à un bol. Quelques jours plus tard, vous recevez la photo d’un vase que les gestes de l’artisan – il refuse le titre d’artiste – aura finalisé en associant le bol qu’il a réalisé de son côté lors de l’interview. Emotion devant cette pièce imparfaite, modeste et humble… Raku ou le « bonheur dans le hasard » en japonais.

Poterie du Grand Pont, 575, route de la Raynoz, Seythenex. Prix des poteries évalué « au poids ». Atelier découverte, 3 séances, 93 € pour les adultes, 73 pour les enfants à partir de 6 ans (04.50.32.41.10 ; Lapoteried­ugrandpont.blogspot.com).

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Pour Jean-Pol Bozzone, la valeur d’une poterie est énergétiqu­e et vibratoire. Pour le client, elle coûte ce que pèse son poids.
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