POLÉMIQUE
Coupable de harcèlement sexuel, une universitaire américaine connue pour son engagement féministe est soutenue par le monde académique. Pour de mauvaises raisons ?
Qu’advient-il de #MeToo lorsque l’accusée est une féministe ? » La question, énoncée par le titre d’un article du New York Times publié le 13 août dernier et que l’affaire Asia Argento, accusée de harcèlement de mineur, vient de relancer, mérite d’être posée ; et le récit de l’affaire qui la soulève, d’être fait. En mai dernier, l’Université de New York (NYU) a suspendu la professeur Avital Ronell pour l’année académique 2018-2019. Au terme de onze mois d’enquête pilotée par le bureau de l’égalité des opportunités de l’université dans le cadre du Title IX (un amendement datant de 1972), cette professeur d’allemand et de littérature comparée a été reconnue coupable de harcèlement sexuel sur l’un de ses anciens élèves, Nimrod Reitman. Plus que l’affaire en elle-même, c’est la réaction d’une frange du monde académique qui a déclenché un tollé et interroge les fondements du mouvement #MeToo. En cosignant une lettre de soutien à Avital Ronell rédigée par Judith Butler, figure de proue des fameuses « gender studies », une cinquantaine d’académiciens ont ainsi souscrit à utiliser des arguments de défense que #MeToo dénonce depuis ses débuts : remettre en cause le récit de la victime. « Certains d’entre nous connaissent la personne qui a mené cette campagne malicieuse contre elle », indique ainsi la lettre qui compte parmi ses signataires plusieurs académiciens français. « Nous soutenons que les accusations contre elle ne constituent pas de preuves réelles mais indiquent plutôt une intention malveillante qui a animé ce cauchemar judiciaire. »
Isabelle Alfandary est professeur à l’université SorbonneNouvelle à Paris, où elle préside le Collège international de philosophie, et a cosigné ladite lettre de soutien de Judith Butler. « Je comprends que cette ligne de défense puisse choquer, a-t-elle indiqué au Figaro Magazine. Mais cette lettre ne fait que manifester notre intime conviction qu’Avital Ronell n’est pas la personne dépeinte par cette histoire. Ce que je souhaite, c’est que cela nous amène à réfléchir à l’importance du respect des droits de la défense et le poids de la vindicte populaire et médiatique dans le cadre de #MeToo – qui est un mouvement qui devrait bénéficier aussi bien aux femmes qu’aux hommes victimes d’agressions sexuelles. Il ne faut pas oublier que l’agression physique n’a pas été retenue par l’université et qu’il s’agit d’un seul étudiant. Avital Ronell a été suspendue pour une année entière, c’est extrêmement lourd. »
Cette ligne de défense ne manque pas de faire grincer des dents celles et ceux qui s’étaient insurgés contre l’unilatéralité du mouvement #MeToo et se disaient inquiets de cette fameuse vindicte populaire. « C’est bien gentil de s’émouvoir de l’irrespect des droits de la défense ou du remplacement de l’Etat de droit par la vindicte populaire quand “un des siens” est touché, explique Peggy Sastre, journaliste et écrivain, auteur de plusieurs ouvrages sur le féminisme. Sauf que cela fait des années que des experts tirent le signal d’alarme sur cet arbitraire extrajudiciaire. Et il y a une dimension hallucinante de banalité dans la lettre rédigée par Butler en défense d’Avital Ronell. On a là tous les poncifs du “je ne connais rien à l’affaire, mais je suis persuadé que mon pote est un type bien et son accusatrice une mythomane diabolique”, sauf que les “pôles genrés” sont inversés. S’il y avait un musée des pires réactions à une accusation de la sorte, cette lettre arriverait directement à côté du “troussage de domestique” de Jean-François Kahn au moment du Sofitel de DSK. »
Reste à savoir, dans cette affaire, ce qui sapera le plus la légitimité et les assises du mouvement #MeToo : la suspension d’Avital Ronell ou bien la partialité opérée par les signataires de la lettre de Judith Butler. « Maintenant que la révolution postmoderne mange ses petits, certains de ses architectes s’affolent. Souhaitons simplement que cela ne soit pas trop tard », conclut Peggy Sastre.