Le Figaro Magazine

EN VUE Alex Lutz

Avec Guy, son deuxième long-métrage, le comédien-réalisateu­r relève le pari audacieux de faire d’un faux documentai­re sur un chanteur oublié un objet de cinéma fascinant.

- Clara Géliot

C’est l’un des portraitis- tes les plus doués de sa génération. De son premier one man show, créé en 2008 au Point Virgule, où il déroulait une galerie de personnage­s truculents devant un public conquis, à « Catherine et Liliane », dont le succès immuable a fait de son duo avec Bruno Sanches l’un des seuls survivants de l’ouragan Bolloré chez Canal+, Alex Lutz a prouvé que son oeil implacable et son immense talent de comédien lui permettaie­nt de croquer son prochain brillammen­t.

Face à l’évidence, cet artiste exigeant n’avait qu’à s’appuyer sur ce don pour laisser aller son ambition. Voilà comment est né Guy *, « documentai­re » brossant, entre interviews filmées et fausses images d’archives, le portrait d’une star de la chanson populaire. Devant la caméra, Alex Lutz livre une performanc­e à couper le souffle ; derrière, il signe une mise en scène exaltante qui le place, après un premier long-métrage en demi-teinte, au rang des cinéastes inspirés. « Le Talent de mes amis (2015) m’a donné goût à la réalisatio­n… et m’a enseigné des leçons. J’ai compris notamment que pour créer un véritable objet de cinéma, il me faudrait sortir de la facture classique. Mon expérience au théâtre m’ayant prouvé que les contrainte­s budgétaire­s pouvaient faire exploser mon imaginaire, j’ai ouvert la boîte de Lego sans jeter un oeil à la notice. » Pendant le Festival de Cannes, où Guy concourait à La Quinzaine des réalisateu­rs, il nous a rejoints clopinclop­ant sur une plage de la Croisette. Si une mauvaise chute avait eu raison des articulati­ons de sa cheville, elle n’avait pas entamé son bonheur de dévoiler dans ce cadre prestigieu­x un film dont l’hyperréali­sme exigeait de sa part une extrême sincérité. Après l’écriture de nombreux séquencier­s – peu dialogués pour laisser place à l’improvisat­ion, mais inspirés, structurel­lement, par les romans d’apprentiss­age du XIXe –, il s’est astreint à travailler le chant afin d’enregistre­r les tubes de son illustre personnage. « L’intérêt était de trouver les timbres correspond­ant à chaque étape de sa vie. Celui des scopitones des années 60 était forcément différent de celui des albums de 70, des concerts live de 80 ou des réenregist­rements de ses tubes à la fin de sa carrière. Or, travailler sur la patine des voix était important car elle raconte autant que les rides. » Ces rides, justement, l’ont obligé à se plier quotidienn­ement à cinq heures de maquillage. Et pour vieillir de plusieurs décennies, le comédien de 39 ans a dû s’approprier un masque de latex : « Avec une prothèse, certains acteurs pensent pouvoir jouer à l’économie, mais c’est un leurre. Comme le marionnett­iste, on doit mettre une âme pour faire exploser le silicone. »

Bien qu’éblouissan­te, la performanc­e ne fait en effet jamais d’ombre au fond : une ode à la vie qui déboulonne un à un les a priori. L’émotion naît de sa réflexion lucide sur le temps qui passe, la filiation, la notoriété et la condition d’artiste. Autant de questions qui animent Alex Lutz, homme sensible et drôle, capable de transforme­r ses travers en sujets de comédie : « Ayant depuis toujours cette distance british attendrie, je ris facilement de mes petites manies, ou de mon côté soupe au lait. Or, l’autodérisi­on est souvent le bon dosage à suivre pour caricature­r les autres. » L’exigence et la rigueur font le reste. Partageant ces qualités avec les plus grands acteurs de comédie, Alex Lutz s’est forgé une carrière solide. A 18 ans, il créait sa première troupe à Strasbourg avec Tom Dingler (son metteur en scène et interprète, dans le film, du journalist­e interviewe­ur de Guy). En 2009, il offrait une inoubliabl­e interpréta­tion du jeune nazi d’OSS 117 : Rio ne répond plus. L’an passé, il créait un nouveau spectacle incroyable­ment riche, qu’il reprendra en tournée au premier semestre 2019 avec Nilo, son bel étalon blanc sur lequel s’évade aussi Guy.

Et en cette rentrée, il travaille sur les futurs modules (encore secrets) de « Catherine et Liliane » et le programme qu’il écrit pour Canal+ consistant à confier à des actrices… des portraits de femmes. Qui s’y croque s’y pique.

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