Le Figaro Magazine

LEE, LE GÉNÉRAL COURAGE

Vae victis ! Après avoir épuisé cinq généraux nordistes, l’officier virginien finit par rendre les armes à un ennemi supérieur en nombre qui sut reconnaîtr­e son génie militaire. Mais sa mémoire fait à nouveau scandale aux Etats-Unis.

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C’est une maison à colonnade sans prétention, entourée d’un vaste parc, comme il en existe des milliers en Virginie. Elle est située à 5 kilomètres d’Appomattox, entre Washington et Charlotte. […] En ce 9 avril 1865, c’est ici que les deux généraux en chef, Grant et Lee, ont choisi de se rencontrer pour signer la fin des hostilités meurtrière­s entre l’Union et la Confédérat­ion. […] Seulement accompagné de Marshall et de son ordonnance, Robert Lee arrive le premier dans la maison de McLean. Il a revêtu son plus bel uniforme de cérémonie et ceint son épée d’apparat incrustée de bijoux, dédaignant celle qu’on lui a offerte quelques mois plus tôt sur laquelle figure pourtant une devise de circonstan­ce correspond­ant à la perfection à la mentalité de cet homme très pieux : « Aide-toi et Dieu t’aidera » (gravé en français).

[…] Comme s’il voulait marquer son statut de vainqueur, le général Grant se fait attendre une demi-heure avant d’arriver, escorté d’une douzaine d’officiers – là aussi, une manière de signaler sa puissance victorieus­e. Quand il entre dans la pièce, le contraste saute aux yeux des témoins. D’un côté, l’officier général nordiste de taille moyenne, le visage mangé par une barbe noire, sa veste bleu marine déboutonné­e, ses bottes crottées, à son image de fils de tanneur de l’Ohio démissionn­aire de l’armée pour alcoolisme, remis miraculeus­ement en selle à la faveur de la guerre civile. De l’autre, le général virginien de haute taille et à la barbe aussi grise que sa tenue – impeccable, elle –, et dont l’allure aristocrat­ique rappelle à la fois les origines patricienn­es et la situation maritale. Tout observateu­r ignorant des circonstan­ces de cette scène n’hésiterait pas une seconde à désigner celui-ci comme le vainqueur. C’est pourtant bien le général Grant qui, dans quelques minufantôm­es tes, après une poignée de main sans chaleur, va recevoir de son homologue sudiste sa reddition en bonne et due forme.

Ulysses S. Grant et Robert E. Lee se respectent comme deux anciens de l’académie militaire de West Point et deux chefs de guerre aux qualités supérieure­s à la moyenne. Ils se connaissen­t pourtant mal, ne s’étant croisés qu’une seule fois, lors de la campagne du Mexique en 1846-1847. Grant croit bon de le rappeler, de la manière la plus élégante possible : « Je vous ai rencontré une fois auparavant, au Mexique, et me suis toujours souvenu de votre apparence, je pense que je vous aurais reconnu n’importe où. » Lee n’est pas d’humeur à faire des politesses. Est-ce le goût amer de la défaite chez un homme qui l’a si peu connue ? La crainte des pillages dans les heures qui viennent ? Le souvenir frais de l’humiliatio­n subie quelques heures plus tôt quand, précédé d’un drapeau blanc, il s’était approché des lignes yankees pour discuter déjà les termes d’une capitulati­on avec son homologue et que celui-ci avait envoyé à sa place un simple officier fédéral ? Le cortège des de 260 000 enfants du Sud disparus en quatre années d’une guerre dont la violence et certaines méthodes annoncent les conflits du XXe siècle ? Toujours est-il que la réponse à son cadet de quinze ans est aussi désobligea­nte que cruelle : « Je sais vous avoir rencontré à cette occasion, j’y ai souvent pensé et essayé de me souvenir de la vôtre, mais n’ai jamais été capable de me rappeler le moindre détail. » […] Grant ne tient pas rigueur à Lee de sa méchante phrase. Si ses manières à lui ne sont pas celles d’un gentleman comme son interlocut­eur, l’idée d’humilier un adversaire lui est étrangère. Il est vainqueur, c’est bien assez. D’autant que le Nord aura épuisé cinq grands généraux avant lui pour vaincre ce diable de « Renard gris » qui lui fait face. Les conditions de reddition qu’il rédige devant Lee sont dures, mais correctes, compte tenu de la situation militaire. […] Celui-ci signe l’accord mettant fin à la guerre de Sécession. Serre la main de Grant, salue rapidement les autres officiers nordistes présents dans la pièce et sort en silence, le visage impavide, mais les poings serrés. On lui amène son fidèle Traveller, le cheval sur lequel il a conduit la plupart des campagnes de la guerre. Dans un bruyant soupir, il le monte et se dirige au pas vers la sortie de la propriété de McLean. Etrangemen­t, les 100 coups de canon prévus pour saluer la paix et la victoire du Nord se font attendre. Ils ne viendront jamais. Ainsi en a décidé Grant, convaincu, comme le président Abraham Lincoln (qui sera assassiné dans quelques jours), que la longue voie de la réconcilia­tion entre le Nord et le Sud est à ce prix : s’abstenir de tout triomphali­sme. Et comme pour être sûr que Lee a bien compris son état d’esprit, Grant, soudain, accomplit le plus noble des gestes au moment où son ancien adversaire passe devant lui, droit comme un i sur son cheval : il lève en silence son chapeau devant ce vaincu aux airs de vainqueur.

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Le général Lee, un anavant le début de la guerre de Sécession.

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