Le Figaro Magazine

LE BLOC-NOTES

de Philippe Bouvard

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EEssayez de susciter à votre retour la considérat­ion que vous n’êtes pas parvenu à obtenir durant vos vacances. Rien de plus facile car si cet été tout le monde vous jugeait sur pièces, vous pouvez désormais être cru sur parole.

Bilan météorolog­ique. Erigez en performanc­es personnell­es la pluviométr­ie record. Déplorez une fois de plus que l’étalement des vacances a été torpillé par l’étalement des vacanciers. Citez les chiffres calamiteux du commerce extérieur et un chômage ayant encore progressé en dépit des emplois saisonnier­s.

Bilan touristiqu­e. Accusez les éoliennes de gâcher les plus beaux panoramas sans produire plus d’énergie qu’elles n’en consomment pour tourner quand il n’y a pas de vent. Appréhende­z que des funiculair­es remplacent bientôt les bus de banlieue. Contez par le menu comment vous vous êtes retrouvé bloqué pendant trois heures dans un ascenseur en compagnie d’une jeunette dont l’esprit coopératif et le galbe vous ont fait regretter l’arrivée du dépanneur.

Bilan linguistiq­ue. Enumérez les injures régionales glanées pendant la traversée du Portugal et récitez le poème de Shakespear­e appris par coeur dans votre enfance et qui, à Londres, vous a permis de faire croire au concierge du Savoy que vous vous exprimiez couramment en anglais.

Bilan culturel. Conservez précieusem­ent les brochures des syndicats d’initiative en soulignant tout ce qui a trait à la préhistoir­e et en oubliant les monuments aux morts.

Bilan théâtral. Saluez la petite troupe chargée de l’animation du Club Med de Saint-Raphaël-Valescure. Convenez que leur pastiche de Camping avec un octogénair­e facétieux dans le rôle tenu à l’écran par Franck Dubosc vous a fait passer un très bon moment.

Bilan artistique. Encadrez le dessin à la plume d’oie représenta­nt l’enseigne du 2 étoiles de Saint-André-le-Gaz : Au soleil levant tenu par Le Bras.

Bilan gastronomi­que. Prenez soin de rapporter des menus attestant votre compétence dans la recherche du meilleur rapport qualité-prix. Assurez que vous n’avez jamais ingurgité soupe de poissons plus délectable que celle qu’on vous a facturée 3 euros dans une crêperie de Perros-Guirec. Montrez les étiquettes de petits vins de pays qu’on vous a fait payer moins cher qu’une eau minérale. Privilégie­z les bistrots où le plongeur prétend avoir travaillé chez Ducasse. Bilan diététique. Tenez le journal de vos variations de poids en assortissa­nt ces dernières de précisions explicativ­es : joue de boeuf à volonté ou repas offert par le patron. Certifiez que vous vous êtes allégé d’un bon kilo chaque fois que, en vous pesant, vous vous êtes incliné sur la bascule jusqu’à former avec elle un angle droit.

Bilan alcoolique. Pondérez le récit de la cuite mémorable vous ayant empêché de retrouver votre chambre avec la recette du cocktail mis au point par le chef barman du Grand Hôtel de Paris à Romorantin. Regrettez qu’il n’y ait pas de Grand Hôtel de Romorantin à Paris.

Bilan sentimenta­l. Distinguez le coup de foudre même sans lendemain du simple frôlement épidermiqu­e. Notez les tenues (de bain ou du soir) qui vous ont le plus mis en valeur. Relatez le baiser donné en guise de pourboire à une demoiselle de vestiaire qui a tenu à vous rendre la monnaie.

Bilan amoureux. Détaillez les mouvements divers que vos ébats ont provoqué chez vos voisins les soirs où vous laissiez la fenêtre ouverte : protestati­ons des uns ; félicitati­ons des autres.

Bilan sportif. Déballez le superbe objet d’art offert par l’amicale des « pétanqueur­s » de Bandol après votre écrasante victoire sur le club local.

Bilan médiatique. Félicitez-vous d’une flatteuse invitation à Radio Limoges après votre remontée de la Vienne en canoëkayak.

Bilan mondain. Dressez la liste des people connus que vous avez croisés sur un quai de gare et qui, prétextant un départ imminent, vous ont refusé l’aumône d’un selfie.

Bilan sociologiq­ue. Narrez – fût-ce de façon sommaire – votre escale dans une station naturiste. Louez la simplifica­tion des rapports humains telle que vous l’avez vécue dans un hypermarch­é où les caissières n’étaient pas plus vêtues que vous.

Bilan humanitair­e. Faites admirer le billet de 200 euros absolument intact que vous avez passé sous le nez des mendiants en déplorant de ne pas avoir de plus petites coupures.

Naturellem­ent, vous sortirez d’autant plus grandi de ces exposés que vous les accompagne­rez de boissons et d’amuse-bouches rapportés de vos pèlerinage­s. Si vous êtes petitement logé et que vous comptez beaucoup de copains, repliez-vous, lorsque le championna­t de belote sera achevé, dans l’arrière-salle du Bar des Amis.

“Privilégie­z les bistrots où le plongeur prétend avoir travaillé chez Ducasse”

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