LA LITTÉRATURE MENACÉE D’ÉPURATION ÉTHIQUE
Drôles de dames, drôle de drame. Emilie Frèche est romancière, Séverine Servat de Rugy, journaliste à Gala.
Elles ont un homme en commun. L’une vit avec, l’autre est la mère de son fils. L’une écrit un roman intitulé Vivre ensemble (Stock). L’autre s’y reconnaît, s’en émeut et le fait savoir. L’une « admet, comme tout écrivain, avoir puisé une partie de son inspiration dans son vécu, notamment familial ». L’autre assure que ce livre « relève du viol de l’intimité sous un jour dégradant, sinon malveillant ». Pourquoi tant de haine ? Parce que Vivre ensemble est d’abord un précis de décomposition des relations familiales issues du monde d’hier. Et que les recompositions qui s’y trouvent ont tout l’air de soins palliatifs. Une matière romanesque d’une telle actualité, fût-elle mise en fiction, ne pouvait que rappeler à certains leur plaisante condition. D’où leur courroux. Mais toute littérature n’est-elle pas un viol dès qu’elle s’empare des passions humaines sans leur permission ? Dès qu’elle fait du réel, aussi intime soit-il, sa matière première, sans son consentement ?
Dès qu’elle prétend exhiber l’éternel entrelacs de souillure et de pureté qui ronge les coeurs ? Dans ce cas, la littérature, dès lors qu’elle se fait miroir de nos turpitudes, serait immorale et devrait être condamnée. Que ne soumet-on sans tarder l’histoire des Arts et Lettres à une telle épuration éthique.