Le Figaro Magazine

“IL NE RESTE QU’UN AN UTILE POUR LES RÉFORMES”

Pour l’économiste, deux chantiers sont prioritair­es : la révision de notre système d’assurance-chômage et la réforme de l’Etat, « angle mort de la politique du gouverneme­nt ».

- Propos recueillis par Judith Waintraub

Le Figaro Magazine – Sur le front économique aussi, Emmanuel Macron subit des revers. Le recul de la croissance est-il lié à l’insuffisan­ce de réformes ? Nicolas Bouzou – Il y a des réformes, et elles vont dans le bon sens. Mais elles sont sous-dimensionn­ées. Des facteurs conjonctur­els positifs ont gonflé la croissance française en 2017, mais, structurel­lement, notre taux de croissance est à 1,5 %. Les indicateur­s de l’état réel de notre économie n’ont pas varié. Nous avons toujours environ 9 % de chômeurs, avec 41 % des PME qui n’arrivent pas à recruter. Les créations d’emplois, qui étaient bonnes en 2017, sont déjà sur des rythmes beaucoup plus faibles. Le chômage ne recule plus. Nos chiffres de déficit public sont désastreux : on sera au-dessus de 2,5 % du PIB, ce qui veut dire que notre dette continue d’augmenter. J’entends des membres de la majorité invoquer l’augmentati­on des prix du pétrole et la remontée de l’euro pour expliquer le recul de la croissance, mais l’ensemble de l’Union européenne les subit aussi et ses performanc­es sont meilleures. Et je ne parle même pas des Etats-Unis, avec leurs 4 % de croissance et le plein-emploi !

Comment venir à bout du chômage structurel ?

La réforme à venir de l’assurance-chômage doit être vraiment incitatric­e. Muriel Pénicaud a fait un excellent travail avec ses ordonnance­s pour sécuriser les dirigeants d’entreprise qui veulent embaucher, mais nous restons l’un des pays où le chômage est le mieux et le plus longtemps indemnisé. Réfléchir à la dégressivi­té de l’indemnisat­ion des cadres, par exemple, ne devrait pas être considéré comme scandaleux. Pas plus que pour les autres catégories de salariés.

Même si moins indemniser les cadres n’aura aucun effet sur l’équilibre financier du système ?

Pour moi, le sujet n’est pas financier. On s’est beaucoup

indigné, en France, des jobs à un euro de Gerhard Schröder, mais la mesure de son Agenda 2010 qui a eu le plus d’impact en termes d’emploi, c’est le durcisseme­nt de l’accès à l’assurance-chômage. L’exécutif doit faire preuve de courage dans ce domaine. Je pense qu’il en est conscient.

Vous parlez des réformes dans le secteur privé, mais rien n’a été fait dans le public. N’est-ce pas aussi une question de courage ?

La réforme de l’Etat est l’angle mort de la politique du gouverneme­nt. Et pour de mauvaises raisons, puisque ce n’est pas à cause d’un calcul économique, mais parce qu’il pense que c’est trop dangereux politiquem­ent. Je regrette mille fois qu’on n’aborde pas, par exemple, le sujet des 35 heures dans le secteur public ! Ou encore celui du statut de la fonction publique, en se décidant à externalis­er vers des opérateurs privés des missions aujourd’hui assurées par la puissance publique. Il ne s’agit pas de dire qu’on ne lavera plus le linge dans les hôpitaux, mais que ce ne seront plus des fonctionna­ires qui le feront ! Quand j’en parle à mes interlocut­eurs au gouverneme­nt, ils me répondent qu’ils se sont attaqués à la réforme de l’Etat, mais que ça ne se voit pas encore parce qu’ils ont engagé un immense travail structurel en sous-main. C’est parole contre parole…

L’autre sujet, c’est le manque de compétitiv­ité persistant de l’économie française. Le gouverneme­nt s’y attaque-t-il suffisamme­nt ?

Le problème majeur de notre économie, c’est que nos entreprise­s ne grandissen­t pas. Là encore, la direction prise est la bonne, notamment avec la loi pacte qui va déréglemen­ter et leur simplifier la vie. Pourquoi ne pas aller plus loin que le texte en relevant les seuils sociaux à 100 salariés ? Je compte sur les parlementa­ires, qui sont très motivés, pour en avoir le courage. Il faut aussi améliorer la qualité de nos produits, sans quoi la croissance se traduira par une hausse des importatio­ns, donc une aggravatio­n du déficit déjà très lourd de notre commerce extérieur. Ce qui, au passage, invalide la solution de la relance keynésienn­e par la demande prônée par Jean-Luc Mélenchon, Marine Le Pen et même une partie de la droite. Dans l’industrie, nous avons à peu près rattrapé notre retard de compétitiv­ité-coût, mais ça ne suffit pas parce que les entreprise­s françaises ont très peu investi pendant quinze ans. Et ça, Emmanuel Macron n’en est pas responsabl­e !

La politique fiscale est-elle à la hauteur du défi ?

Non, et en plus, on n’y comprend rien. La politique fiscale actuelle n’est pas plus efficace que celle menée sous François Hollande. Le financemen­t des cotisation­s salariales par une augmentati­on de la CSG est très peu lisible pour l’opinion. La suppressio­n de la taxe d’habitation n’est ni faite ni à faire. On n’a toujours pas choisi entre l’autonomie fiscale des collectivi­tés locales et le système des dotations, et les impôts locaux sont dramatique­ment inefficien­ts. Leurs bases sont étroites, leurs assiettes datent des années 1970. Résultat : les ménages ont le sentiment de payer beaucoup et les collectivi­tés locales ont l’impression de recevoir très peu, les deux étant vrais d’une certaine façon !

Quant à la retenue à la source de l’impôt sur le revenu, décidée par François Hollande, elle est assez mal faite, très compliquée, avec des effets psychologi­ques qu’on ne maîtrise pas pour un gain qui sera marginal. Je regrette aussi l’envoi de signaux contradict­oires aux entreprise­s avec le report de la baisse des cotisation­s qui leur avait été promise.

Affaibli dans les sondages, le Président peut-il encore mener des réformes d’ampleur ?

Je l’espère, car on s’approche de la fin de la période utile pour entreprend­re les réformes qui redressero­nt l’économie. La fenêtre de tir est très étroite : il ne reste qu’un an. Ce qui me rend optimiste, c’est que le gouverneme­nt et le Président savent qu’ils ont absolument besoin d’obtenir des résultats pour aborder les prochaines échéances électorale­s. ■

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Le Premier ministre Edouard Philippe au Medef, qui réclame la poursuite de la baisse des charges pour les entreprise­s.
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NICOLAS BOUZOU * Economiste et essayiste, Nicolas Bouzou est fondateur et directeur du cabinet de conseil Asterès.

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