Par Guyonne de Montjou LIBRE COMME NICOLAS HULOT
Un peu plus d’un an après son entrée au gouvernement, le plus populaire des ministres jette l’éponge. Il estime que le pouvoir politique ne prend pas la juste mesure de la « tragédie écologique » en cours.
Trois pages, rédigées à la hâte. Une bombe. La déclaration que Nicolas Hulot destinait à la presse pour annoncer sa démission était prête. Des lignes écrites avec fièvre, parsemées de quelques fautes de frappe ou d’orthographe (« cette esprit »), d’abréviations (« NRJ renouvelables »), tout trahissait leur spontanéité. Cette déclaration qui dressait l’inventaire du travail accompli et déplorait l’impossibilité à mettre en oeuvre les mesures urgentes, voire indispensables, pour faire face à la tragédie écologique annoncée, n’a jamais été prononcée. Pas plus qu’elle n’a circulé ni n’est parvenue à Emmanuel Macron ou à Edouard Philippe. Rédigée au mois d’avril dernier, elle est restée cachée dans les replis d’une vie à 100 à l’heure, à portée de main. Mardi, c’est finalement en direct à la radio, sans prévenir personne, que Nicolas Hulot a claqué la porte du gouvernement. Après avoir dit non tour à tour à Jacques Chirac, Nicolas Sarkozy et François Hollande, Nicolas Hulot avait fini par se laisser convaincre par Emmanuel Macron. Personnalité politique la plus populaire auprès des Français, il avait aussitôt, en mai 2017, représenté « une prise de guerre » pour le jeune président. Entré dans le premier gouvernement d’Edouard Philippe, ce grand intuitif avait apprécié l’énergique détermination et l’honnêteté du vainqueur : « Lors d’un déjeuner, confiait-il alors, Emmanuel a reconnu ne pas bien s’y connaître en écologie et m’a assuré de sa confiance totale sur le sujet. A son tour, il m’a inspiré confiance. » Après cet échange prometteur, les petites batailles n’ont pas manqué de surgir, présageant les grandes.
DEUX SECRÉTAIRES D’ÉTAT INEXPÉRIMENTÉS
Etant parvenu à imposer sa directrice de cabinet, Michèle Pappalardo, et son conseiller spécial, Benoît Faraco, il s’est vu contraint d’accepter la nomination de deux secrétaires d’Etat inexpérimentés sur les questions écologiques, Brune Poirson et Sébastien Lecornu, dans l’urgence, à quelques minutes de l’annonce officielle de la composition du gouvernement. « Nous étions encore au téléphone avec Edouard Philippe, se rappelait-il à la fin de l’été 2017, et, devant moi, je voyais le breaking news des chaînes d’info présentant l’image du micro en haut des marches de l’Elysée. » Regrettant de prime abord que ces nominations aient été guidées par des calculs politiques, il a fini par reconnaître l’utilité de ses deux collaborateurs sillonnant le territoire pour le décharger de certaines obligations. A la tête d’une administration de près de 170 000 fonctionnaires, difficile pour un seul ministre d’assurer toute la capitainerie du navire. Et délicat, pour cet ancien militant écologique, d’endosser d’épineux dossiers, à commencer par celui de Fessenheim. Seul à la tête de son vaisseau, loin de sa famille restée à Saint-Lunaire, en Bretagne, se sentant peu soutenu au Parlement mais épaulé par certains confrères du gouvernement, il s’interroge en boucle sur son utilité. Enchaînant les réunions et les déplacements, il avoue laisser son portable en mode silencieux durant son sommeil – « Seuls quatre numéros peuvent m’appeler » mais « parfois, je me réveille la nuit en notant une chose, pour ne pas l’oublier ».
Aurait-il été surmené ? « Je suis très
scolaire », reconnaissait-il récemment en désignant ses blocs-notes noircis de listes d’actions à mener avec, se détachant en lettres capitales rouges, çà et là, le mot « urgent ». Durant son mandat, l’exigence de mener une révolution écologique a buté sans relâche sur la realpolitik et les compromis obligatoires. Lundi soir, veille de sa démission, il n’a pas hésité à reporter sine die son rendezvous avec Le Figaro, sans justification, au sortir d’une réunion à l’Elysée qui, semble-t-il, a tout précipité. La dernière séquence sur la chasse, dont Sébastien Lecornu a piloté la réforme, aurait donc été déterminante. La présence d’un lobbyiste pro-chasse qui « n’avait rien à faire là », Thierry Coste, à cette fameuse réunion de lundi après-midi à l’Elysée semble avoir eu l’effet d’un détonateur. Si, au micro de France Inter, Hulot a assuré que sa démission n’était pas liée « simplement » à ce dossier sensible, la présence non prévue de cet invité a « achevé de [le] convaincre que ça ne fonctionne pas comme ça devrait fonctionner ». Ayant eu, durant ces quatorze mois, à déplorer la pression des lobbys diligentés par de grands groupes agroalimentaires, ou chimiques tels que Monsanto, y compris sur des sujets plus intimes, avec des tentatives de déstabilisation d’ordre personnel, il n’est pas anodin que la présence d’un lobbyiste au coeur de l’Elysée ait vaincu ses dernières résistances.
DÉSACCORDS AU GRAND JOUR
Evoquant des accusations à son encontre classées sans suite, opportunément portées à la connaissance du public par un magazine en février dernier, Hulot nous confiait alors : « Il y a des enquêtes partout à mon sujet. C’est horrible. Je sens que mes collègues du gouvernement me soutiennent. Mais tout ce prix à payer pour si peu de rentabilité gouvernementale m’écoeure. » Peu enclin à se laisser séduire par les ors du pouvoir ou par la beauté dépouillée de l’hôtel de Roquelaure, boulevard Saint-Germain, qui réunit son cabinet et ses appartements, il a au contraire pris très tôt la mesure de ce qu’il perdait. Sa liberté, son autonomie, la gestion de son temps, ses échappées en kitesurf et, plus encore, l’importance pour lui de rester un homme intègre et fidèle à sa vision.
Dès les premières semaines au ministère, il expose ses doutes, ne cache pas ses désaccords. En septembre dernier, l’ancien animateur télé se dit prêt à quitter son poste le jour où il ne se sentira plus efficace. Fin octobre, il réitère ses menaces et s’accorde un an pour vérifier s’il est utile et s’il parvient à « créer des convergences, à insuffler une forme de cohérence dans l’action du gouvernement en faveur de la transition écologique », confie-t-il alors au Monde. S’ensuivent « quelques couleuvres » à avaler : il lui faut annoncer le report des ambitions de la France en matière de réduction du nucléaire, cautionner l’accord de libre-échange signé entre l’Union européenne et le Canada, perdre la bataille contre le glyphosate dans les instances européennes, qui reste finalement légal cinq ans au lieu de trois. « Entre le 1er janvier et le 30 avril, déplorait-il, mon cabinet a participé à 340 réunions interministérielles à Matignon. On les a comptées. Très peu ont été tranchées en ma faveur. » Malgré ces échecs successifs, assumés toujours avec une certaine douleur, sans filtre ni cynisme, il se maintient à bord du navire. Sa ténacité lui vaut des succès, comme l’abandon du projet d’aéroport à Notre-Dame-des-Landes, en Loire-Atlantique. Quelques jours après la décision, il assure une médiation décisive en se rendant sur le terrain pour discuter avec les zadistes, à la demande expresse du président de la République.
UNE FORMULE 1 LES YEUX BANDÉS
Mais, mardi matin, comme au fil des quatorze derniers mois, c’est Stéphane Travert, en charge de l’Agriculture, qui catalyse sa rage : « Je ne parviens pas à m’entendre avec lui, confiait-il cet été à un proche, je ne peux pas lui faire confiance. Il peut me dire une chose à 17 h qu’il démentira à 20 h. » La réforme agricole toujours ajournée et la prééminence des lobbys d’industries agroalimentaires sont, selon lui, si dommageables à la cause écologique que, en décembre dernier, il n’hésite pas à bouder la clôture des états généraux de l’alimentation. Il estime alors que « le compte n’y est pas », avant de nuancer ses propos. En cours de discussion, le projet de loi alimentation issu des états généraux est dénoncé comme une « coquille vide » par des ONG qui espéraient une transition vers une agriculture « saine et durable ». Force est de reconnaître que, sur les pesticides et sur le reste, les mentalités des Français semblent mûres pour réformer l’agriculture intensive héritée du vieux monde. Pour Nicolas Hulot, à l’évidence, la prolongation du système existant et l’inertie sont inacceptables.
Son sentiment d’impuissance est encore renforcé par le caractère urgent et incontournable des mesures qui pourraient enrayer le réchauffement climatique et l’érosion de la biodiversité : « Nous avons basculé dans la tragédie climatique. Les petits pas ne suffisent pas », a-t-il répété mardi lors de sa démission. En mai dernier, il nous confiait regretter que la politique privilégie le court-termisme : « C’est comme conduire une formule 1 avec les yeux bandés. On peut être certain que cela va mal finir. » ■
“Je sens que mes collègues du gouvernement me soutiennent. Mais tout ce prix à payer pour si peu de rentabilité
gouvernementale m’écoeure”