Le Figaro Magazine

OLIVIA DE LAMBERTERI­E

Au frère dont je n’ai pas sauvé la vie

- par Frédéric Beigbeder

Alexandre de Lamberteri­e était drôle, beau, jeune, et souffrait de dysthymie, une forme de dépression mystérieus­e et lancinante, peut-être génétique. Dans la famille Lamberteri­e, comme dans la famille Hemingway, on abrège souvent son existence. Après plusieurs tentatives de suicide et divers séjours en HP, le directeur artistique du jeu vidéo Assassin’s Creed s’est jeté du pont Jacques-Cartier à Montréal le 14 octobre 2015 ; il avait 46 ans. Le suicide rend le deuil plus douloureux : Alex n’est pas seulement mort, il l’a choisi. « Le suicide, c’est la double peine. » Le premier livre d’Olivia de Lamberteri­e est le tombeau d’un petit frère que personne n’a pu sauver, ni les psychiatre­s, ni la famille, ni les amis. On sent que la responsabl­e des pages littéraire­s de Elle ne pouvait pas faire autrement que d’écrire ce texte. Cette lectrice profession­nelle devait se l’arracher pour pouvoir le lire. Son écriture sobre, entre chagrin et colère, force l’admiration. C’est aussi une réflexion sur le métier de critique littéraire : « Les mauvais écrivains me volent ma vie » est une phrase que je ressortira­i aux gens qui me reprochent d’égratigner les médiocres kleptomane­s de mon temps. Il fallait un talent inouï pour parvenir à bout de ce récit sans déroger au principe du « never complain » cher à l’aristocrat­ie du seizième arrondisse­ment de Paris. Avec toutes mes sympathies est un grand premier livre, pudique et impudique, qui décrit une souffrance indescript­ible avec tact et politesse. C’est un thriller dont on connaît la chute (si je puis me permettre). On sait quand le crime va avoir lieu, on connaît le tueur et la victime, qui sont une seule et même personne. Comme dans le film Titanic, c’est une histoire d’amour où l’on attend le naufrage. Et c’est horrible à dire – surtout quand on a eu la chance de ne pas affronter pareil cataclysme – mais tel est le vrai sens de ce portrait posthume, splendide et déchirant : comme dans Titanic, à la fin, c’est le naufrage qui embellit l’histoire d’amour.

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Avec toutes mes sympathies, Stock, 254 p., 18,50 €.

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