SARAH GYSLER
Le tour du monde en 80 euros
Périodiquement, un jeune écrivain raconte comment il a décampé : Blaise Cendrars en 1926, Jack Kerouac en 1957, Nicolas Bouvier en 1963, Jon Krakauer en 1996… Sarah Gysler a 24 ans, Petite est son premier roman mais ce n’en est pas un. Elle y raconte sa fuite authentique autour du monde, sans argent ni destination. Depuis 2015, elle tient un blog intitulé L’Aventurière fauchée : y ajoutant son enfance de jeune désespérée mi-algérienne, mi-vaudoise, elle publie Petite, un concentré de liberté, d’excentricité et de rage. « Je suis née au milieu des années nonante, et longtemps j’ai cru que notre futur ressemblerait à l’heureux baratin d’un horoscope. Une promesse d’amour, de gloire et de beauté, le genre d’ânerie qu’on nous vend dans les journaux gratuits du métro. » Sarah Gysler a plus voyagé que moi, qui ai plus du double de son âge. Née à Lausanne, elle a traversé l’Atlantique sur un voilier en « bateau-stop », squatté le Transsibérien jusqu’à son terminus, failli mourir de froid en Norvège et sillonné les Philippines sur les toits des bus ; elle a connu la faim, la peur, la solitude. Et elle en a tiré un récit révolté et cocasse, un Into the Wild des années 2010. Sarah, c’est Christopher McCandless sans mourir de faim, Sylvain Tesson sans tomber de dix mètres de haut : une miraculée. Le plus original dans son récit est son mélange d’humour noir et d’innocence, un ton décalé pour visiter le globe terrestre en « avion-stop », une gaieté traumatisée par la paralysie de son père et les brimades de ses camarades de classe. Du divorce parental à la jungle amazonienne à pied, d’un tournage de clip de ragga dancehall à une campagne humanitaire en Dominique, cette odyssée est une leçon sans morale, et c’est ce qui en fait toute la saveur. Mlle Gysler ne se prend jamais pour un écrivain, et c’est peut-être la meilleure méthode pour le devenir. Bienvenue, Petite Sarah (« charmant monstre » aurait dit Mauriac), au royaume exotique de l’écriture, qui permet de partir très vite et très loin… en littérature-stop.
Frédéric Beigbeder
Petite, Les Equateurs, 183 p., 18 €.