CAPITAINE ABANDONNÉ
Après l’avion, le bateau : le spécialiste des modes de transport sort un nouveau roman aussi indigeste qu’ampoulé.
Il y a deux sortes de livres : ceux qui font un carton et ceux qui sont en carton. Le premier roman d’Adrien Bosc, Constellation, avait séduit par son habileté ; le deuxième, Capitaine, déçoit par son enflure. Ce jeune éditeur semble trop pressé de gagner sur tous les tableaux ; or qui trop embrasse mal écrit. Couronné par le Grand Prix du roman de l’Académie Française en 2014, Constellation était une flèche métallique comme le Lockheed argenté qui s’écrasa en 1949 dans les Açores, avec Marcel Cerdan à son bord. Suivant l’adage « tant que je gagne, je joue », Capitaine ressert la même sauce : cette fois l’avion est remplacé par un bateau, le Capitaine-PaulLemerle, qui traversa la Méditerranée et l’Atlantique en 1941, de Marseille à la Martinique, avec André Breton à bord, ainsi que Wifredo Lam, Claude Lévi-Strauss et d’autres « réprouvés de la France de Vichy et d’une Europe en feu ». On attend avec impatience la fin de la trilogie retraçant l’aventure d’un TGV Paris-Biarritz en grève le mois dernier (j’y étais, avec Yves Michalon : l’arrêt en gare de Dax fut particulièrement palpitant). Adrien Bosc a créé la revue Feuilleton et les Editions du Sous-Sol : il est fréquemment présenté comme l’un des importateurs de la « narrative nonfiction » en France. Il est exact qu’il a fait traduire Gay Talese, Maggie Nelson et William Finnegan, ce qui mérite notre gratitude. Il est aussi exact que la « narrative nonfiction » existait en France avant Adrien Bosc : Truman Capote, Tom Wolfe et Joan Didion entremêlaient déjà reportage et roman, bien avant sa naissance, dans toutes nos librairies. Ce qui fait de cette mixture une excitante forme de littérature est le sens de l’observation, la drôlerie des détails, voire un zeste de folie. Il n’y a rien de tout cela dans Capitaine, sauf en préambule, quand Bosc raconte une soirée d’ivresse où un ami lui cite une phrase de Leibniz : « Nous ne pouvons connaître le goût de l’ananas par le récit des voyageurs. » Adrien Bosc aurait dû retenir la leçon : il ne manque pas un bouton de guêtre à son Capitaine mais tout y sonne appliqué, apprêté, ampoulé comme la voix off d’un documentaire de Gérard Miller sur France 3. L’excès de labeur alourdit son rafiot, et sa fastidieuse reconstitution donne à son ananas une odeur de transpiration. Un roman repose sur l’expérience sensorielle de son auteur, et non sur son abonnement à la Wi-Fi et ses treize pages de sources à la fin. Et voilà comment un fan de Hunter S. Thompson se retrouve à publier le roman le plus académique de la rentrée. Capitaine, d’Adrien Bosc, Stock, 378 p., 22 €.