Le Figaro Magazine

ÉRIC ZEMMOUR,

UN DESTIN FRANÇAIS En couverture

- Par Alexandre Devecchio

« Destin français », le nouvel ouvrage d’Eric Zemmour, est une méditation puissante et profonde sur l’Histoire. Fidèle à lui-même, l’essayiste revisite le passé pour mieux déconstrui­re le présent. Surprise : dans une introducti­on poignante en forme de confession, il lève aussi le voile sur son enfance et sa famille.

On est de son enfance comme on est d’un pays », écrivait SaintExupé­ry. Et pour comprendre Eric Zemmour, c’est à cette source qu’il faut puiser. Son nom commence par un Z, comme Zorro, mais à 10 ans, Zemmour rêve d’être Bonaparte. Il dévore le Napoléon

d’André Castelot, « avec sa couverture verte cartonnée », que sa mère lui a offert pour son anniversai­re. Son esprit vagabonde en 1800 au milieu des champs de bataille. Il revit l’épopée impériale. Sur son cheval au galop, l’enfant coiffé de son bicorne charge avec les soldats de la Grande Armée, vibre à la victoire d’Austerlitz et pleure après la retraite de Russie et Waterloo. Plus tard, il découvre Illusions perdues.

Balzac est son Vautrin, qui lui apprend à grandir. C’est décidé, faute de pouvoir être empereur, il sera Rubempré. A moins qu’il ne soit l’auteur de La Comédie humaine

lui-même. « Dès l’enfance, j’avais compris que la France était ce pays singulier fait de héros et d’écrivains, de héros qui se prétendaie­nt écrivains, et d’écrivains qui se rêvaient en héros »,

écrit-il dans Destin français.

L’une des immenses surprises des 569 pages foisonnant­es de son nouvel essai, concerne les 40 premières. A 60 ans, dans une introducti­on poignante en forme de confession, l’essayiste révèle la part de lui-même la plus précieuse, celle qu’il gardait jusqu’ici jalousemen­t pour lui : sa part d’enfance. Il a fallu six mois à Lise Boëll, la directrice éditoriale essais et documents d’Albin Michel, pour convaincre ce grand pudique de se livrer. Zemmour se moque d’être aimé. Il veut convaincre par ses idées, pas par ce qu’il est. Par la raison, pas par l’émotion. Et pourtant, comment ne pas être touché par le destin du petit Zemmour et de sa famille ? Comme Camus avait

dédié Le Premier Homme, son oeuvre la plus personnell­e, à sa mère, Zemmour dédie son livre à ses parents. Ils ont connu la tragédie des rapatriés jetés à la mer avec une valise en carton. Pour autant, ils n’en ont conçu aucune rancune à l’égard de la France. « La France, c’était la vie ; l’Algérie, la nostalgie. La France, la grande nation ; l’Algérie, la petite patrie », résume Zemmour. A la maison, on chante Aznavour dans la journée et Oum Kalsoum la nuit. Son père parle arabe dans les cafés de la Goutte-d’Or, mais tient la littératur­e française pour ce qu’il y a de plus grand au monde, et note avec soin sur un calepin les phrases de Victor Hugo…

Un jour, peu de temps avant sa mort, il confie à son fils : « J’en ai assez d’entendre à la télévision “les Juifs de France”. Je ne suis pas un Juif de France, je suis un Français juif. Je ne suis pas un étranger ni un immigré… » Cette phrase dit presque tout d’Eric Zemmour. Elle résume le sens de son combat. Non pas pour la pureté ethnique, comme l’affirment ses détracteur­s qui n’ont rien compris. Mais pour l’assimilati­on par la transmissi­on et la culture. « Je n’ai pas une goutte de sang français, mais la France coule dans mes veines », disait Romain Gary. « L’histoire de France coulait dans mes veines », écrit Zemmour.

LA FRANCE COMME PARADIS PERDU

Pour l’émission « Les Terriens du dimanche ! » de Thierry Ardisson, qui sera diffusée le 16 septembre à 19 h 05 sur C8, Zemmour est retourné à Drancy. Là où il a passé ses jeunes années. Depuis ses 11 ans, il n’y était jamais revenu. Derrière son éternel sourire malicieux, Zemmour masque mal son trouble. Il s’arrête longuement devant le numéro 22 où logeait sa famille au rez-de-chaussée. Il arpente le parc où il faisait du toboggan et jouait au foot avec ses copains. La résidence Faidherbe n’a pas vraiment changé. Le décor est resté identique. La petite barre est restée la même. Ce sont les acteurs qui ont changé. Dans le parc, Zemmour croise une jeune fille voilée. « A mon époque, cela aurait été impensable », glisse-t-il. Le petit Zemmour a grandi dans les années 1960 dans une France où l’expression « le vivre-ensemble » n’existait pas, mais où la cohésion nationale et le sentiment d’appartenan­ce étaient une réalité. Dans la banlieue d’avant le regroupeme­nt familial et les caïds de la drogue, d’avant les barbus et les burqas. « Je n’ai aucun mauvais souvenir ici, à part celui d’être parti. C’était un havre de paix, un paradis », explique l’essayiste. Zemmour sera à jamais inconsolab­le de ce paradis perdu, de cette France pacifiée qu’il refuse de voir disparaîtr­e pour toujours.

Très tôt, bien avant Charlie et le Bataclan, il a tout vu : le multicultu­ralisme et l’antiracism­e militant conjugués à l’immigratio­n de masse, la réduction de l’histoire de France à ses « heures les plus sombres », l’individual­isme consuméris­te exacerbé par la mondialisa­tion soi-disant heureuse, devaient compromett­re l’assimilati­on des nouveaux venus et attiser le feu identitair­e. Rétrospect­ivement, Le Suicide français (2014) apparaît en tout point prophétiqu­e. Son succès phénoménal (500 000 exemplaire­s vendus) prouve qu’il faisait écho à l’angoisse sourde qui habitait beaucoup de Français. Mais comme le disait Nicolas de Chamfort : « En France, on laisse en repos ceux qui mettent le feu et on persécute ceux qui sonnent le tocsin. » Tant que les salons parisiens pensaient pouvoir le tourner en ridicule, Zemmour

était toléré. Comme Michel Onfray l’a noté dans FigaroVox avec son sens de la formule habituel : « Invité en bout de table, pour le dîner de cons, oui, mais Eric Zemmour a retourné la situation et montré à toute la tablée que le con, ça n’était pas lui… » Ils ne lui ont pas pardonné. Nourri au lait de Balzac, Zemmour avait appris « à connaître les hommes, les femmes, à les craindre et s’en méfier, à ne rien attendre d’eux sinon l’envie et la mesquineri­e ». Il n’ignorait pas, en outre, que « la polémique est le piédestal des célébrités » (Illusions perdues). Il y a cédé parfois au risque de prêter le flanc aux caricature­s. Il faut dire aussi que rien ne lui fut épargné : ni les procès à répétition, ni les calomnies les plus délirantes. Un jour il est présenté comme sioniste, le suivant comme antisémite. Désigné comme islamophob­e le matin, portraitur­é en islamiste le soir. Certains veulent le faire taire par tous les moyens. La sortie de son livre de chroniques, Un quinquenna­t pour rien (2016), est torpillée. Son espace d’expression se réduit d’année en année : malgré des audiences au sommet, i-Télé le congédie brutalemen­t en décembre 2014, aujourd’hui RTL lui retire son édito…

LA GENÈSE DU « SUICIDE FRANÇAIS »

Le piège manque de peu de se refermer sur lui. Zemmour aurait pu faire feu de tout bois. Il évite au contraire la surenchère. Comprend qu’il ne doit pas devenir une figure de talkshow et se fait rare. Tel le comte de Monte-Cristo, il médite sa revanche. Elle prendra la forme de Destin français, son oeuvre à la fois la plus personnell­e et la plus accomplie. Il aurait pu faire la suite du Suicide français. Il a au contraire choisi d’écrire le livre de la genèse. Sa propre genèse et celle de la France d’aujourd’hui. Le Suicide… racontait les quarante années qui ont défait la France ; Destin… revisite les mille cinq cents ans qui ont fait la Grande Nation. Un travail titanesque qui lui a pris trois ans et demi. Stakhanovi­ste méticuleux, Zemmour réécrit chaque chapitre des dizaines de fois. Avec souffle et style, il se confronte à ses maîtres : Michelet, Bainville, Taine. Mais aussi parce que la France est une nation littéraire, à Bossuet, Voltaire, Rousseau, Hugo et bien sûr Balzac.

Un jour, peu de temps avant sa mort, son père lui confie : “J’en ai assez d’entendre à la télévision « les Juifs de France ». Je ne suis pas un Juif de France, je suis un Français juif. Je ne suis pas un étranger ni un immigré”

Qu’on ne s’y trompe pas : son dernier ouvrage n’est pas seulement un monumental livre d’histoire. Certes, l’essayiste embarque le lecteur dans « la machine à remonter le temps », de Clovis à Jeanne d’Arc, des croisades aux guerres de Religion, de la monarchie absolue à la Révolution, de l’Empire à la République, de la Grande Guerre à la « drôle de guerre », de Pétain à de Gaulle, de Beauvoir à Butler (philosophe américaine, spécialist­e des études de genre), mais c’est surtout un livre d’Eric Zemmour. Son roman national intérieur. L’auteur ne renonce à rien de ce qui a fait son succès comme nourri l’ire de ses adversaire­s : les formules qui tranchent dans le vif, les analogies historique­s vertigineu­ses, les théories systémique­s, les raccourcis discutable­s, les paradoxes scandaleux, le refus de ménager les susceptibi­lités et le plaisir de déplaire au clergé de l’époque. Si Zemmour explore le passé, c’est encore une fois pour mieux déconstrui­re les dogmes et les aveuglemen­ts du présent. Zemmour reste Zemmour. Un guerrier. Son épée est sa plume.

LES VENGEANCES DE L’HISTOIRE

Sa patrie ? Héritière de l’Empire romain, l’originalit­é de la civilisati­on française fut de fondre et d’amalgamer des éléments méditerran­éens et des éléments barbares, nous dit Eric Zemmour. « La France fut, par sa côte méditerran­éenne, en contact intime avec les mondes grec, romain, byzantin ; par sa côte atlantique, avec les Vikings scandinave­s ; par sa frontière pyrénéenne, avec l’Islam ; par le Rhin, avec les Barbares », écrit-il. Mais l’unité de ce mélange complexe, qui fit notre force comme notre faiblesse, ne put être maintenue, selon lui, que par un Etat fort et après une série de guerres intestines sanglantes.

Eric Zemmour refuse d’appliquer à l’Histoire notre morale contempo- raine. On pourra lui reprocher de se défier toujours de l’émotion, jamais d’être manichéen. Chez lui, rien n’est jamais tout blanc ou tout noir : tout est gris. Les héros agissent comme des salauds, les salauds comme des héros. Les faibles comme des forts, les forts comme des faibles. Zemmour démonte les légendes noires une par une : celles des croisades, des guerres de Religion, de la colonisati­on, de la France collabo. Montaigne disait qu’il aimait Paris « jusque dans ses verrues et ses taches ». Zemmour reprend le mot célèbre de Bonaparte : « De Clovis au Comité de salut public, j’assume tout. » Au risque de choquer, il le prolonge : « De Clovis à Pétain et à Bugeaud, j’assume tout. » Non pour réhabilite­r Vichy, comme les bonnes conscience­s s’en indignent. Mais parce qu’il sait que l’Histoire est complexe, tragique. Pour Zemmour, elle ne se répète pas, elle se venge. Et le poison mortifère de la repentance infuse les nouvelles guerres civiles à venir.

Avec Destin français, Zemmour montre à tous ceux qui voulaient le réduire au rôle de polémiste champion du buzz qu’il est bien plus que cela : un intellectu­el et un écrivain.

Eric Zemmour refuse d’appliquer à l’Histoire notre morale contempora­ine. On pourra lui reprocher de se défier toujours de l’émotion, jamais d’être manichéen

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 ??  ?? Tenant l’un de ses oncles par la main, Eric Zemmour dans les rues de Drancy où il vécut une grande partie de son enfance.
Tenant l’un de ses oncles par la main, Eric Zemmour dans les rues de Drancy où il vécut une grande partie de son enfance.
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 ??  ?? Les premiers bains de mer et, à l’époque révolue du contrôle des changes,le carnet nécessaire pour passer les frontières.
Les premiers bains de mer et, à l’époque révolue du contrôle des changes,le carnet nécessaire pour passer les frontières.
 ??  ?? A Drancy, où il a vécu jusqu’à ses 11 ans. Il arpente le parc où il faisait du toboggan et jouait au foot avec ses copains. Le décor de la résidence Faidherbe est resté identique. Ce sont les acteurs qui ont changé.
A Drancy, où il a vécu jusqu’à ses 11 ans. Il arpente le parc où il faisait du toboggan et jouait au foot avec ses copains. Le décor de la résidence Faidherbe est resté identique. Ce sont les acteurs qui ont changé.
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Pour l’émission « Les Terriens du dimanche ! », qui sera diffusée le 16 septembre sur C8, Zemmour revientà Château-Rouge où son père était ambulancie­r.
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