LA PAGE D’HISTOIRE
de Jean Sévillia
Il s’agit d’une aventure éditoriale peu commune. En 1962, Georgette Elgey signait avec les Editions Fayard un contrat l’engageant à écrire en trois ans une Histoire de la IVe République dont deux volumes étaient prévus. De rencontres avec des acteurs de l’époque en découverte d’archives inexploitées, l’auteur voyait cependant grossir la matière de son oeuvre. Au final, le premier volume parut en 1965, le deuxième trois ans plus tard, mais l’ensemble ne retraçait que les années 1945 à 1954. De nombreuses années seront encore nécessaires à Georgette Elgey pour rédiger et publier, entre 1992 et 2008, trois autres tomes couvrant les années 1954 à 1959. En 2012, enfin, paraissait un dernier volume focalisé sur la courte période de 1958 où le général de Gaulle a été l’ultime président du Conseil de la IVe République. Cinquante ans de travail et six volumes auront donc été consacrés à cette Histoire de la IVe République. Cette somme est aujourd’hui rééditée dans la collection « Bouquins », après un élagage du texte et quelques ajustements effectués par Matthieu Rey, un chercheur au CNRS, interventions réalisées avec l’assentiment de Georgette Elgey qui, née en 1929, est toujours parmi nous. Journaliste et historienne, cette femme au parcours exceptionnel (lire son récit autobiographique, La Fenêtre ouverte) préfère les conclusions nuancées aux jugements à l’emporte-pièce. Sans rien nier des défauts de la IVe République, essentiellement son instabilité gouvernementale, l’auteur rappelle les contraintes de l’époque : la pression des communistes et, en sens contraire, des gaullistes, la menace d’une guerre mondiale, l’enclenchement de conflits coloniaux alors même que la décolonisation n’était pas dans les esprits. Georgette Elgey montre néanmoins que, de la reconstruction d’après-guerre à l’expansion des Trente Glorieuses, de la réconciliation franco-allemande à l’intégration européenne, la IVe République a fait entrer la France dans la modernité. L’historienne estime en définitive que, contrairement aux idées reçues, la plupart des dirigeants de ce régime décrié étaient de grands commis désintéressés, des serviteurs de l’Etat qui n’ont malheureusement pas eu les moyens politiques de faire aboutir leurs projets.
Histoire de la IVe République, de Georgette Elgey, Robert Laffont, « Bouquins », 2 tomes, 1 344 p., 32 €, et 1 050 p., 31 €.