KAFKA NAGUILA
★★★ FORÊT OBSCURE, de Nicole Krauss, L’Olivier, 281 p., 23 €. Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Paule Guivarch.
D’un côté, il y a Jules Epstein, ancien avocat, flamboyant millionnaire qui se dépossède régulièrement de tous ses biens – y compris de sa femme –, et qui décide de quitter New York pour gagner sa ville natale, Tel-Aviv où, d’abord hébété, il naît à nouveau. De l’autre, il y a Nicole, illustre romancière juive américaine célèbre en Israël, dont le couple se délite, et qui n’arrive plus à écrire. De sa panne d’inspiration émerge peu à peu un souvenir obsédant : celui de l’hôtel Hilton de Tel-Aviv où, enfant, elle passait régulièrement des vacances avec ses parents. Elle aussi décide de fuir dans cette ville où elle espère trouver la matière à écrire ce nouveau roman. Sur place, c’est autre chose qu’elle rencontrera : un ancien du Mossad lui parle de manuscrits inédits de Franz Kafka avant de lui expliquer, preuves à l’appui, que l’auteur du
Procès n’est pas mort à Prague en 1924, mais a fini sa vie des années plus tard dans l’anonymat, comme jardinier en Palestine : c’est là qu’il a accompli sa propre
métamorphose, et c’est là que Jules et Nicole accompliront la leur… Dans cette Forêt obscure où se télescopent mystique juive et pensée freudienne,
Nicole Krauss est impressionnante : le récit de Jules est à la troisième personne, merveilleusement ouvragé. Celui de Nicole, à la première, est plus simple mais plus profond : c’est le ton du journal intime. Pour les deux personnages, les certitudes vacillent dans ce pays où ils se sentent un peu chez eux mais pas vraiment non plus, jusqu’à ce que l’évidence s’impose : pour revivre, il leur faudra mourir un peu. Sacré programme…