LECTURE/POLÉMIQUE
A travers le portrait intellectuel de cinq penseurs catholiques, le Canadien Richard Bastien tente de réconcilier foi et raison dans un essai érudit et engagé.
Catho, mais pas bigot
Bigoterie, n.f. : fait de croire de façon étroite et bornée. » Alors cathos, tous bigots ? Au contraire ! Après Denis Moreau et son remarqué Comment peut-on être catholique ? (Seuil), c’est au tour d’un auteur venu d’outre-Atlantique d’ébranler le mythe moderne de l’antagonisme absolu entre foi et raison. Dans un livre intitulé Cinq défenseurs de la foi et de la raison (Salvator), Richard Bastien ressuscite cinq grandes figures intellectuelles catholiques des XIXe et XXe siècles, qui surent chacune à leur manière proposer une réflexion inédite – et critique – sur la modernité. MacIntyre, Chesterton, Newman, C. S. Lewis, Kreeft usèrent certes de leur raison, mais refusèrent de considérer la foi comme un simple vestige. A l’inverse, nous soufflent-ils : la foi doit permettre à la raison de ne pas s’enfermer dans sa propre contemplation, principal écueil de la philosophie moderne. Cette posture, qui a tenté, nous explique l’auteur, de répondre à des questions métaphysiques par l’unique biais de la raison, « a échoué lamentablement […]. Le monde dans lequel nous vivons se perçoit comme intellectuellement et moralement supérieur à tout ce qui a existé dans le passé. Il s’agit pourtant d’un monde […] où la pensée idéologique a remplacé la connaissance objective et le sens commun. C’est pourquoi nous parlons d’un monde non plus moderne, mais postmoderne. Après avoir renoncé à la foi, il a renoncé à l’usage de la raison et fait naître une culture du désespoir. »
Le lecteur se plonge avec curiosité dans la pensée des cinq philosophes, que l’auteur a su rendre accessibles aux profanes.
MacIntyre convainc par sa mise en évidence de la crise morale que nous traversons : « Il ne semble exister aucun moyen rationnel de parvenir à un accord moral dans notre culture. » Que l’on songe donc en effet, aux débats passionnels que suscitent nos lois dites sociétales ; Lewis, rejoint par Chesterton, interpelle par sa critique de l’homme moderne, un égoïste livré au matérialisme le plus rigoureux et courant à sa perte s’il ne réinvestit pas urgemment sa dimension spirituelle. Quant à Kreeft, il alerte sur l’impossibilité pour la science d’expliquer à elle seule la nature humaine. Aux questions « Qui est l’homme ? En quoi est-il digne ? », on ne saurait répondre sans faire appel à la philosophie, et mieux encore, sans supposer une transcendance. Newman, enfin, en contrant la tentation fidéiste (renoncer à user de la raison et ne valoriser que l’acte volontaire de croire), rappelle, comme Jean-Paul II après lui, que « foi et raison sont les deux ailes qui permettent à l’esprit humain de s’élever vers la contemplation de la vérité ».
La vérité. Dans la torpeur de notre époque relativiste, qui semble condamner Homo festivus à une succession ininterrompue de gueules de bois, elle résonne comme une trop belle promesse. Qu’il faut risquer, nous exhorte Richard Bastien.
Cinq défenseurs de la foi et de la raison, de Richard Bastien, Salvator, 200 p., 20 €.