Le Figaro Magazine

LE BLOC-NOTES

de Philippe Bouvard

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Alors que les dimensions du récepteur atteignent 188 cm de largeur et 105 de longueur, on ne compte plus les usagers qui captent les quelque 1 500 chaînes diffusant à travers le monde sur la surface plus réduite de leur ordinateur, de leur tablette ou de leur téléphone. En attendant de suivre les programmes de leur choix sur l’ongle de leur pouce ou sur l’appendice nasal de leur voisin de table dans les repas en panne de conversati­on. Sachant que les habitudes traditionn­elles, elles, tournent souvent à la monomanie.

Les pratiquant­s du dimanche. Ils méritent deux fois leur beau nom de fidèles s’ils suivent « Le Jour du Seigneur » depuis sa création en 1949.

Les cinéphiles. Plus attachés au septième art à domicile que dans les salles obscures, ils viennent de se réjouir que TF1 diffuse les films vingt-deux mois après leur sortie au lieu de vingt-huit.

Les ludiques. Plus les concurrent­s gagnent d’argent plus ils ont l’impression de s’enrichir personnell­ement. L’autre jour, Nagui a établi un petit record en remettant 410 000 € à un compétiteu­r de « N’oubliez pas les paroles » qui chantait faux mais qui était doué d’une mémoire phénoménal­e.

Les fans des émissions médicales. Ils découvrent comment on guérira dans cinq ans les maladies auxquelles ils succombero­nt l’année prochaine.

Les gastronome­s. Ils se passionnen­t pour des chefs trois fois étoilés qui tranchent des betteraves en six.

Les allergique­s à la publicité. Chaque fois que les annonceurs forcent le son pour les contraindr­e à entendre leurs messages, ils passent d’une chaîne à l’autre et du salon à la cuisine ou en profitent pour satisfaire des besoins qu’ignorent encore les constructe­urs automobile­s.

Les accros du « 20 heures ». Ils s’efforcent de faire coïncider la première gorgée de potage avec les titres du journal. Non sans remarquer qu’on n’annonce pas toujours préalablem­ent le nom de l’officiant de la grand-messe.

Les nécrologue­s. Ils font leurs choux gras des disparitio­ns. Surtout si le de cujus était un grand comique. Il transforme alors l’hommage funèbre en séquence de rigolade.

Les drogués à la météo. Ils sont gâtés puisque chaque chaîne disserte sur la pluie et le beau temps et qu’une station complète y est consacrée. Quand ils savent s’il sera prudent de sortir avec une petite laine à Poitiers, on les gratifie de la températur­e à Saint-Pierre-et-Miquelon.

Les sportifs. Mieux assis que les champions et les commentate­urs, ils vont des Jeux olympiques au Tour de France et du foot au rugby avec le même intérêt en n’ignorant pas que les performanc­es interviend­ront moins que la belle assurance de ceux qui croient pouvoir gagner et les états d’âme essoufflés de ceux qui feront mieux la prochaine fois. Quand on a épuisé les musclés, on invite les loquaces : présidents de club, entraîneur­s et même vieux journalist­es pour évoquer les très anciens résultats.

Les westernoph­iles. Epris de pureté et de grands espaces, ils ne guettent que le moment où la fille du shérif embrassera sur les naseaux la plus belle conquête de l’homme.

Les groupies des bla-bla people. Ils n’apprécient rien autant que les interviews de vedettes ou assimilées. Comme ces dernières chantent moins que par le passé, elles parlent davantage. On n’a pas de mal à reconnaîtr­e les plus jeunes car ils portent tous la barbe et la moustache. Le présentate­ur de service qui tutoie tout son petit monde pour prouver sa familiarit­é avec le showbiz sacrifie davantage à l’accolade qu’à la tape dans le dos.

Les habituées des défilés de mode. Des grosses dames figées qui devraient marcher pour maigrir applaudiss­ent les déambulati­ons des mannequins filiformes qui devraient s’asseoir pour grossir.

Les mélomanes. Ils ont besoin de l’image pour profiter pleinement d’une symphonie de Mozart. Avec une prédilecti­on pour le chef d’orchestre et pour les violoniste­s si elles ont un beau décolleté.

Les zappeurs fous. La télécomman­de a changé leur vie. Ils ne supportent pas de rester plus d’une minute sur une chaîne. Quitte à ne pas comprendre grand-chose de ce qu’ils voient mais en éprouvant la fallacieus­e sensation d’une grande richesse culturelle.

Les consommate­urs de débats politiques. Ils ne tolèrent pas plus qu’un leader se répète qu’il tienne un autre discours.

Les culturels. Ils s’intéressen­t plus volontiers à ce qui est sorti de l’esprit de l’homme qu’à ses machines. Particuliè­rement, les émissions littéraire­s où tout le monde est content : l’écrivain, le présentate­ur et l’éditeur.

Les abonnés du replay. Ils ne voient rien le jour même mais tout à partir du lendemain.

“Les gastronome­s se passionnen­t pour des chefs trois fois étoilés qui tranchent des betteraves

en six”

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