LE BLOC-NOTES
Attention à la façon dont vous vous êtes habillé avant de vous faire hospitaliser. Le nombre de parties communes que vous serez amené à parcourir en pyjama transformera les couloirs en une vaste chambre à coucher. Présentezvous réglementairement au service d’accueil. D’abord, dites votre fierté d’appartenir à un pays où la terre entière vient se faire soigner. Rappelez que c’est parce qu’on change aussi souvent les ministres de la Santé que les draps des lits que votre beau-frère a eu la vie sauve. N’oubliez pas votre carte Vitale. Sans ce sésame, vous ne seriez plus qu’un paria de l’économie solidaire. Echangez courageusement votre identité habituelle par l’appellation de « Lit 25 », moins connue mais garantissant votre prise en charge.
N’acceptez les services d’un brancardier intérieur qu’à condition d’être certain qu’il n’est pas un fana de la Formule 1. Si vous voulez être bien vu, dites « Docteur » à tous les porteurs de blouse blanche et « Monsieur le professeur » à tous les soignants ayant un stéthoscope accroché à la poche poitrine. La prochaine suppression du numerus clausus, qui ouvrira un jour les portes de l’Académie de médecine à tous les élèves premiers en sciences naturelles, assimilera de moins en moins souvent ces vocatifs à une politesse. Ne vous étonnez plus si l’on vous prend la température à 50 centimètres de distance. Cela vous évitera de baisser votre pantalon devant des gens que vous ne connaissez pas. Résignez-vous à évoquer davantage devant le personnel de service vos petits besoins que vos exploits amoureux. Si grâce à une fibroscopie on a extrait de vos oeuvres vives un objet étranger, ne l’offrez pas au musée local mais laissez-le à celui qui a réussi la récupération. Ne vous liez pas avec des quidams souffrant des mêmes maux que vous mais essayez d’enrichir vos connaissances médicales. Ne faites pas le joli coeur avec l’infirmière de nuit. Elle a le plus souvent un homme en bonne santé à la maison. Ne vous vexez pas si votre référent vous quitte sans aucun signe d’amitié. Par hygiène plus que par mépris, Pasteur ne serrait jamais la main de personne. La pudeur n’a pas plus droit de cité ici que la gastronomie. N’ayez pas peur de montrer vos orifices naturels puisque c’est par ces brèches que s’engouffrera la curiosité des praticiens. Ne tentez pas de savoir où l’on a formé le personnel de cuisine. On lui a principalement appris à servir chaud ce qui devrait se manger froid et l’inverse ainsi qu’à priver les aliments de toute séduction gustative. L’extinction des feux le soir comme leur allumage le matin relèvent de l’arbitraire. Le temps médical n’a rien à voir avec le temps judiciaire ni le temps politique. Il se compose de quelques heures durant lesquelles on ne perd pas une minute et d’autres heures où l’on attend seulement les heures suivantes. Profitez de l’occasion pour rompre avec la télévision où la redevance est fonction inverse des dimensions de l’image et où l’on s’obstine à traiter de problèmes qui n’ont rien à voir avec les vôtres. Les urgences constituent le lieu géométrique des pathologies organiques et caractérielles car on y soigne moins les petits bobos que les grosses impatiences. Rien ne donne plus à réfléchir sur les dangers des progrès scientifiques que la peureuse aptitude de servants de la radiographie qui, après avoir exposé le malade aux rayons, courent prudemment se mettre à l’abri. Si vous avez envie d’admirer le savoir-faire du Créateur, demandez à assister aux coronarographies et IRM qui vous baladeront dans votre enveloppe charnelle comme on parcourt la fête à Neu-Neu. Gardez de votre passage à la radio le petit certificat qu’on ne vous remettra jamais à RTL ou à France Inter. Regardez d’un autre oeil qu’à l’accoutumée le déambulateur. Il est à l’égrotant ce que la tribune est à l’orateur : un promontoire auquel les Chinois ont voilà plusieurs millénaires ajouté des roues sans faire progresser la mobilité de l’emploi et à l’abri duquel on peut rappeler qu’on existe. Il est d’autant plus utile que, dans tous les bâtiments modernes, on ne lésine pas sur les mètres carrés et que l’allongement des corridors ainsi que la multiplication des ascenseurs donnent l’impression d’une visite des palais nationaux.
Le jour où vous sortez, ne snobez pas ceux qui restent. Faites tout pour qu’ils pensent qu’ils vous suivront rapidement. Si vous revenez au bout d’un mois, ne claironnez pas « c’est encore moi ! ». Nul ne se souvient de votre premier passage. Bien des malades se sont succédé et le personnel a reçu d’autres affectations. N’espérez donc trouver d’autres repères que la télécommande du lit et la sonnette de nuit. Remerciez le législateur de ne pas avoir confisqué comme aux ministres et aux écoliers le cher téléphone portable. Suggérez à l’administration de faire cadeau d’un appareil à chaque défunt pour le relier au conservateur du cimetière.
“Ne faites pas le joli coeur avec l’infirmière de nuit. Elle a un homme en bonne santé à la maison”