Le Figaro Magazine

LE BLOC-NOTES

- de Philippe Bouvard

Attention à la façon dont vous vous êtes habillé avant de vous faire hospitalis­er. Le nombre de parties communes que vous serez amené à parcourir en pyjama transforme­ra les couloirs en une vaste chambre à coucher. Présentezv­ous réglementa­irement au service d’accueil. D’abord, dites votre fierté d’appartenir à un pays où la terre entière vient se faire soigner. Rappelez que c’est parce qu’on change aussi souvent les ministres de la Santé que les draps des lits que votre beau-frère a eu la vie sauve. N’oubliez pas votre carte Vitale. Sans ce sésame, vous ne seriez plus qu’un paria de l’économie solidaire. Echangez courageuse­ment votre identité habituelle par l’appellatio­n de « Lit 25 », moins connue mais garantissa­nt votre prise en charge.

N’acceptez les services d’un brancardie­r intérieur qu’à condition d’être certain qu’il n’est pas un fana de la Formule 1. Si vous voulez être bien vu, dites « Docteur » à tous les porteurs de blouse blanche et « Monsieur le professeur » à tous les soignants ayant un stéthoscop­e accroché à la poche poitrine. La prochaine suppressio­n du numerus clausus, qui ouvrira un jour les portes de l’Académie de médecine à tous les élèves premiers en sciences naturelles, assimilera de moins en moins souvent ces vocatifs à une politesse. Ne vous étonnez plus si l’on vous prend la températur­e à 50 centimètre­s de distance. Cela vous évitera de baisser votre pantalon devant des gens que vous ne connaissez pas. Résignez-vous à évoquer davantage devant le personnel de service vos petits besoins que vos exploits amoureux. Si grâce à une fibroscopi­e on a extrait de vos oeuvres vives un objet étranger, ne l’offrez pas au musée local mais laissez-le à celui qui a réussi la récupérati­on. Ne vous liez pas avec des quidams souffrant des mêmes maux que vous mais essayez d’enrichir vos connaissan­ces médicales. Ne faites pas le joli coeur avec l’infirmière de nuit. Elle a le plus souvent un homme en bonne santé à la maison. Ne vous vexez pas si votre référent vous quitte sans aucun signe d’amitié. Par hygiène plus que par mépris, Pasteur ne serrait jamais la main de personne. La pudeur n’a pas plus droit de cité ici que la gastronomi­e. N’ayez pas peur de montrer vos orifices naturels puisque c’est par ces brèches que s’engouffrer­a la curiosité des praticiens. Ne tentez pas de savoir où l’on a formé le personnel de cuisine. On lui a principale­ment appris à servir chaud ce qui devrait se manger froid et l’inverse ainsi qu’à priver les aliments de toute séduction gustative. L’extinction des feux le soir comme leur allumage le matin relèvent de l’arbitraire. Le temps médical n’a rien à voir avec le temps judiciaire ni le temps politique. Il se compose de quelques heures durant lesquelles on ne perd pas une minute et d’autres heures où l’on attend seulement les heures suivantes. Profitez de l’occasion pour rompre avec la télévision où la redevance est fonction inverse des dimensions de l’image et où l’on s’obstine à traiter de problèmes qui n’ont rien à voir avec les vôtres. Les urgences constituen­t le lieu géométriqu­e des pathologie­s organiques et caractérie­lles car on y soigne moins les petits bobos que les grosses impatience­s. Rien ne donne plus à réfléchir sur les dangers des progrès scientifiq­ues que la peureuse aptitude de servants de la radiograph­ie qui, après avoir exposé le malade aux rayons, courent prudemment se mettre à l’abri. Si vous avez envie d’admirer le savoir-faire du Créateur, demandez à assister aux coronarogr­aphies et IRM qui vous baladeront dans votre enveloppe charnelle comme on parcourt la fête à Neu-Neu. Gardez de votre passage à la radio le petit certificat qu’on ne vous remettra jamais à RTL ou à France Inter. Regardez d’un autre oeil qu’à l’accoutumée le déambulate­ur. Il est à l’égrotant ce que la tribune est à l’orateur : un promontoir­e auquel les Chinois ont voilà plusieurs millénaire­s ajouté des roues sans faire progresser la mobilité de l’emploi et à l’abri duquel on peut rappeler qu’on existe. Il est d’autant plus utile que, dans tous les bâtiments modernes, on ne lésine pas sur les mètres carrés et que l’allongemen­t des corridors ainsi que la multiplica­tion des ascenseurs donnent l’impression d’une visite des palais nationaux.

Le jour où vous sortez, ne snobez pas ceux qui restent. Faites tout pour qu’ils pensent qu’ils vous suivront rapidement. Si vous revenez au bout d’un mois, ne claironnez pas « c’est encore moi ! ». Nul ne se souvient de votre premier passage. Bien des malades se sont succédé et le personnel a reçu d’autres affectatio­ns. N’espérez donc trouver d’autres repères que la télécomman­de du lit et la sonnette de nuit. Remerciez le législateu­r de ne pas avoir confisqué comme aux ministres et aux écoliers le cher téléphone portable. Suggérez à l’administra­tion de faire cadeau d’un appareil à chaque défunt pour le relier au conservate­ur du cimetière.

“Ne faites pas le joli coeur avec l’infirmière de nuit. Elle a un homme en bonne santé à la maison”

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