Le Figaro Magazine

“LES CARTES MONTRENT QUE LE IIIe REICH NE POUVAIT PAS GAGNER”

L’approche spécifique­ment cartograph­ique apporte un éclairage nouveau sur le conflit, selon l’historien maître d’oeuvre de l’« Infographi­e de la Seconde Guerre mondiale ».

- Jean Lopez Propos recueillis par Emmanuel Hecht

Pourquoi avoir choisi la Seconde Guerre mondiale pour cet exercice ?

Parce qu’elle s’y prête particuliè­rement. Tout y est massifié : l’engagement humain, la production d’armements, les batailles, les statistiqu­es produites par les armées et les administra­tions. Nous avons consulté ou fait consulter – les documents soviétique­s, par exemple – ces données dans des annuaires de toutes sortes, et, de plus en plus souvent, directemen­t sur internet. Ensuite, nous les avons triées et vérifiées car, d’une source à l’autre, elles ne correspond­ent pas toujours.

Dans quel cas ?

La déportatio­n politique, à Dachau, Buchenwald, Flossenbür­g… Les chiffres ont été transmis à l’origine par les mouvements de résistance, sans jamais avoir été confirmés. Nous avons donc demandé aux historiens attachés à ces camps devenus des musées de nous fournir les leurs. A cette occasion, nous avons fait des découverte­s, constatant par exemple qu’en 1943 la ration calorique des déportés augmente et que leur taux de mortalité baisse – provisoire­ment. L’explicatio­n ? Les nazis sont engagés dans la « guerre totale ». Ils ont besoin de bras pour soutenir l’effort de guerre. Donc de prisonnier­s mieux nourris…

Quels sont les sujets plus difficiles à illustrer ?

Les sujets qualitatif­s comme « la défaite de la démocratie en Europe ». Finalement, nous avons distingué les pays selon la nature du régime – autoritair­e, totalitair­e, démocratiq­ue… –, signalé la présence de partis extrémiste­s, de fortes minorités nationales et de législatio­ns antisémite­s. Avez-vous rencontré des surprises ?

Plutôt des changement­s de perspectiv­e. Dans ses Mémoires, Churchill écrit que la bataille de l’Atlantique est « le seul péril » qu’il ait vraiment craint. En s’attaquant aux cargos et pétroliers, les U-Boote visent à étouffer l’économie britanniqu­e et empêcher un débarqueme­nt allié. L’âpreté des combats est indéniable : les Alliés perdent plus de 2 000 navires et 30 000 marins de commerce ; le Reich, 25 000 sous-mariniers à bord de 700 navires. Pourtant, les statistiqu­es indiquent que la grande majorité des convois traversent l’océan sans être attaqués. Et, à partir de la mi-1943, grâce aux bombardier­s équipés de radars et de nouvelles munitions, le nombre de sous-marins allemands coulés explose, alors que la production américaine de navires s’envole. Le Reich ne pouvait pas gagner.

L’équation pétrolière prend aussi un tout autre relief avec vos infographi­es…

C’est dans ce domaine que la défaite de l’Axe se lit de la façon la plus nette. Le Reich a beau se lancer dans la production d’essence synthétiqu­e à partir du charbon, celle-ci n’assurera pas plus de 40 % de ses besoins. Mussolini dispose d’une belle marine, mais il dépend du mazout des Etats-Unis. Le Japon aussi, et ses stocks sont vulnérable­s aux bombardeme­nts. Certes, Tokyo s’empare des puits des Indes néerlandai­ses (Sumatra, Java) et de Bornéo, mais les sous-marins américains envoient par le fond son trafic pétrolier. Là encore, les cartes sont sans équivoque.

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