“LES CARTES MONTRENT QUE LE IIIe REICH NE POUVAIT PAS GAGNER”
L’approche spécifiquement cartographique apporte un éclairage nouveau sur le conflit, selon l’historien maître d’oeuvre de l’« Infographie de la Seconde Guerre mondiale ».
Pourquoi avoir choisi la Seconde Guerre mondiale pour cet exercice ?
Parce qu’elle s’y prête particulièrement. Tout y est massifié : l’engagement humain, la production d’armements, les batailles, les statistiques produites par les armées et les administrations. Nous avons consulté ou fait consulter – les documents soviétiques, par exemple – ces données dans des annuaires de toutes sortes, et, de plus en plus souvent, directement sur internet. Ensuite, nous les avons triées et vérifiées car, d’une source à l’autre, elles ne correspondent pas toujours.
Dans quel cas ?
La déportation politique, à Dachau, Buchenwald, Flossenbürg… Les chiffres ont été transmis à l’origine par les mouvements de résistance, sans jamais avoir été confirmés. Nous avons donc demandé aux historiens attachés à ces camps devenus des musées de nous fournir les leurs. A cette occasion, nous avons fait des découvertes, constatant par exemple qu’en 1943 la ration calorique des déportés augmente et que leur taux de mortalité baisse – provisoirement. L’explication ? Les nazis sont engagés dans la « guerre totale ». Ils ont besoin de bras pour soutenir l’effort de guerre. Donc de prisonniers mieux nourris…
Quels sont les sujets plus difficiles à illustrer ?
Les sujets qualitatifs comme « la défaite de la démocratie en Europe ». Finalement, nous avons distingué les pays selon la nature du régime – autoritaire, totalitaire, démocratique… –, signalé la présence de partis extrémistes, de fortes minorités nationales et de législations antisémites. Avez-vous rencontré des surprises ?
Plutôt des changements de perspective. Dans ses Mémoires, Churchill écrit que la bataille de l’Atlantique est « le seul péril » qu’il ait vraiment craint. En s’attaquant aux cargos et pétroliers, les U-Boote visent à étouffer l’économie britannique et empêcher un débarquement allié. L’âpreté des combats est indéniable : les Alliés perdent plus de 2 000 navires et 30 000 marins de commerce ; le Reich, 25 000 sous-mariniers à bord de 700 navires. Pourtant, les statistiques indiquent que la grande majorité des convois traversent l’océan sans être attaqués. Et, à partir de la mi-1943, grâce aux bombardiers équipés de radars et de nouvelles munitions, le nombre de sous-marins allemands coulés explose, alors que la production américaine de navires s’envole. Le Reich ne pouvait pas gagner.
L’équation pétrolière prend aussi un tout autre relief avec vos infographies…
C’est dans ce domaine que la défaite de l’Axe se lit de la façon la plus nette. Le Reich a beau se lancer dans la production d’essence synthétique à partir du charbon, celle-ci n’assurera pas plus de 40 % de ses besoins. Mussolini dispose d’une belle marine, mais il dépend du mazout des Etats-Unis. Le Japon aussi, et ses stocks sont vulnérables aux bombardements. Certes, Tokyo s’empare des puits des Indes néerlandaises (Sumatra, Java) et de Bornéo, mais les sous-marins américains envoient par le fond son trafic pétrolier. Là encore, les cartes sont sans équivoque.