L’ÉDITORIAL
Nos dirigeants ont-ils pris conscience de l’ensauvagement d’une partie de la société ?
de Guillaume Roquette
La brutalité des images est inimaginable : la semaine dernière, sur un parking de Garges-lès-Gonesse (Val-d’Oise), un adolescent est lynché à coups de barre de fer et de boule de pétanque par une dizaine de voyous. Une voisine filme la scène. Trois agresseurs présumés sont interpellés le jour même : ils ont 20, 16 et 14 ans. Exemple parmi mille autres de la sauvagerie qui envahit quotidiennement nos rues, l’affaire n’a pas fait la une des médias. Pas plus que les statistiques pourtant concordantes distillées par les organismes officiels. Celle-ci par exemple : les agressions contre le personnel de la RATP ont augmenté de 24 % l’année dernière. Au total, chaque jour en France, près de 1 000 actes de violence (hors vols) sont rapportés aux autorités. Tous les autres, et il y en a quatre ou cinq fois plus d’après les enquêtes, ne sont jamais déclarés. Même Martine Aubry semble avoir compris la gravité de la situation : « Il n’est pas pensable que dans une ville il y ait des tours où des assistantes sociales, des médecins ne puissent plus rentrer, où les amis, les parents, les familles qui y habitent ne puissent plus rentrer. Je dis que ce n’est plus possible, on n’est plus dans une République » proteste désormais la maire de Lille en réclamant des CRS.
Les forces de l’ordre font de leur mieux pour contenir cette déferlante mais le système judiciaire ne suit pas, faute de lois adaptées (à quand la majorité pénale à 16 ans ?) de places disponibles en prison ou simplement de volonté répressive des magistrats. Comment peut-on justifier que l’homme qui a mortellement poignardé il y a huit jours le patron de la police municipale de Rodez ait été en liberté après 42 interpellations pour violence ? La préfecture de l’Aveyron n’a pas répondu à cette question ; elle était trop occupée à mettre en place une cellule d’urgence médico-psychologique. Pourtant, cela fait déjà trente-cinq ans qu’un universitaire américain a inventé la théorie de la vitre brisée, démontrant que les petites incivilités, quand elles ne sont pas suffisamment sanctionnées, engendrent un sentiment d’impunité favorable à la délinquance.
On se demande si nos dirigeants ont vraiment pris la mesure de cet ensauvagement de la société. Il n’est quand même pas normal que la garde des Sceaux annonce la division par deux (par rapport aux engagements d’Emmanuel Macron) du nombre de places de prison qui seront construites durant le quinquennat. Pas normal que le ministre de l’Intérieur annonce à l’avance sa démission pour favoriser sa carrière politique personnelle, comme si sa mission était secondaire. Pas normal que le président de la République pose avec un jeune homme condamné pour braquage en expliquant qu’« il n’a pas eu la chance de ne pas faire de bêtises », comme s’il lui cherchait des excuses. A défaut d’avoir la politique miracle pour faire baisser la délinquance, nos dirigeants peuvent commencer par se montrer exemplaires.